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Le balcon sur AlgerLe balcon sur Alger

Le balcon-labyrinthe.

Alger, comme Rome, est bâtie sur plusieurs collines.

Notre appartement était situé au troisième étage du 70 boulevard du Telemly, aujourdhui boulevard Krim-Belkacem, et ce boulevard courait en tournant tout au long du flan des collines. Limmeuble était adossé à un promontoire qui avait été excavé pour le construire. A partir du troisième étage, deux ailes de limmeuble se faisaient face, au-dessus dune cour. Contrairement aux autres appartements, nous avions le privilège de bénéficier de cette cour, partagée avec nos voisins de palier, devenus de grands amis de mes parents. Eux possédaient en outre une cave à lhorizontal dans la colline où entreposer leurs bouteilles de vin.

Lappartement n’était pas grand, mais traversé par ce qui nous semblait un immense couloir de chaque côté duquel se disposaient les pièces. Dans ce couloir, nous faisions du patin à roulettes. Les voisins du dessous supportaient le bruit et nont jamais protesté, ils étaient très âgés, peut-être sourds ou alors indulgents.

La chambre que nous occupions, ma sœur et moi, était en face de lentrée. Le mobilier de lensemble des pièces avait dû être acheté en une seule fois, car il avait le même style. Il était assez massif, en bois foncé, les pieds des tables et des lits étaient ornés de torsades et reposaient sur une boule compacte quon retrouvait également à lentrecroisement des barres qui tenaient les pieds des fauteuils ou de la table basse du salon.

Il y avait en outre dans cette chambre une armoire ancienne pour toute la famille et des bibelots sans valeur, qui avaient été placés là de peur que nous cassions des objets plus précieux.

Curieusement, ce dont je me rappelle avec le plus de précisions est le balcon ajouré en encorbellement, typique des bâtiments méditerranéens.

Il était très original, construit en briques ou en pierres recouvertes de plâtre, mais surtout il était ajouré en une série de cubes non clos qui communiquaient les uns avec les autres. Ce qui lui ressemblerait le plus est la plateforme de jeux en bakélite où il sagit de diriger une boule dans un labyrinthe ; il aurait pu aussi évoquer de loin un moucharabieh.

Notre immeuble surplombait un ravin, à l’époque non construit, et la vue souvrait largement sur limmensité de la baie dAlger, sur la mer parfois bleu marine de colère, parfois bleu pâle diaphane de légèreté lorsque latmosphère était sans nuage. Du balcon, nous voyons de loin les bateaux arriver pour entrer au port, glissant dun sillage régulier par temps calme ou agités et malmenés par les flots en période de tempête.

Les adultes se tenaient debout face à la mer et saccoudaient au balcon. Mais nous, nous neûmes accès à ce spectacle que petit à petit. La fenêtre était en effet souvent fermée et il était alors impossible de regarder. Nous aimions quand elle souvrait, lorsque quelquun faisait le ménage de notre chambre et pouvait nous surveiller. Trop petites pour voir au dessus de la rambarde, nous collions nos visages sur les trous du moucharabieh qui nous servaient de longue-vue. Nous ne voyons alors quune partie du paysage, mais avions limpression que lextérieur était à nous, rien que pour nous. Chaque longue-vue avait son champ de vision particulier, ses bâtisses au loin, ses arbres du ravin plus près, ses détails, sa luminosité propre qui nous enchantait. Nous passions sans nous lasser dune longue-vue à lautre pour tout découvrir. Parfois, on nous mettait sur une chaise et on nous tenait pour que nous puissions voir le paysage dans son entier au-dessus de la rambarde.

Puis, nous pûmes en grandissant voir au loin sans ouvrir la fenêtre. Mais au fond nous étions en pays connu, nous avions déjà tout observé. Ne restait plus qu’à suivre l’évolution des saisons, le mouvement des nuages, du temps qui passe, les aléas du quartier.

Christine L.

Tag(s) : #Christine L., #La chambre d'enfant, #Textes des participants
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