"C’est une nuit sans lune et c’est à peine si l’on distingue l’eau du ciel".
Mais la lune devrait bientôt se lever et éclairer le port, les silhouettes sombres et massives des cargos, leur proue acérée, leurs cheminées solides et épaisses, les rambardes délimitant le bord des ponts. Ils sont postés au bord du quai, l’un derrière l’autre, en attente.
Un individu distingué est accoudé à l’une de ces rambardes. La brise souffle et son écharpe rouge semble près de se détacher de son manteau.
Dans l’autre bassin, sont alignés les bateaux à voile, accrochés aux môles par de longs filins en corde, avec les mâts qui s’entrechoquent et les fanions qui claquent au vent. Ce bassin là bruit aussi des grincements des ponts en bois, du clapotis sur les flancs des bateaux, parfois du cri strident des mouettes perchées sur les haubans ou d’un aboiement répétitif dans l’air du soir.
Assise sur le pont de l’un de ces bateaux, une femme immobile et pensive se tient, goûtant la saveur salée de l’air marin, attentive aux effluves du port et à la brise, toute à la perception de l’ambiance ouatée du bord de mer.
La lune est maintenant en train de se lever, la lumière hésite, franchit un nuage, s’obscurcit dans un autre, joue au moucharabieh, puis d’un coup le port prend en plein la clarté. Tout devient visible, fascinant, les angles aigus des structures des bateaux, les lignes précises des haubans, la silhouette fine des mouettes endormies. Même les odeurs semblent soudain devenir plus distinctes.
Une cloche sonne au loin. La lenteur de la nuit s’installe.
Il ne se passe rien.