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Écrire pour s’exprimer, pour témoigner, pour repenser à sa vie, pour penser son époque, pour élaborer un univers proche et distant de soi au travers de personnages qui de près ou de loin vous ressemblent, écrire pour colmater des traumatismes ou les plaies d’une époque.

En écriture, la valeur n’attend pas le nombre des années comme le montrent les premières nouvelles de Georges Sand ou le texte sur Nietzsche de Lou von Salomé, œuvres d’avant leur vingt cinquième année ; ou alors attend le nombre des années comme celui sur Milena Jesenská, écrit à presque 80 ans par Margaret Buber-Neumann qui s’était liée d’amitié avec elle à Ravensbrück.

La promotion des auteurs valide l’entre-soi des grands noms, dont ensuite la renommée ne dépasse parfois pas une génération. Beaucoup d’auteurs ne sont pas traduits, beaucoup de livres sont épuisés, on le constate dès qu’on essaie de trouver des livres un peu spécialisés. Que reste-t-il de la prolifique écriture des auteurs de l’Antiquité ? Reste-t-il des lecteurs, des lectrices à certains livres écrits pourtant comme un combat par des femmes, en littérature ou en philosophie ?

Pourtant même les textes mineurs ont leur importance. J’ai récemment lu le témoignage d’une des premières agrégées d’allemand en France. Dans son livre Une lycéenne en 1905, écrit en 1981, Jeanne Ancelet-Hustache, née en 1897, raconte son trajet personnel à partir du collège à l’époque où les freins étaient nombreux pour les femmes dans l’accès à l’université, à l’agrégation ou au doctorat, même si la loi Camille Sée du gouvernement Jules Ferry avait, avec bien des difficultés et des débats orageux, ouvert un enseignement secondaire d’Etat pour les filles en 1880. Mais les réformes étaient toujours conçues avec des limites, maintenant des inégalités dans la préparation et des examens distincts. Détail amusant, Jeanne Ancelet-Hustache ne dut son intérêt pour sa discipline qu’au fait que sa directrice lui avait intimé de travailler son allemand, alors sa plus faible matière, ce qui l’amena à passer plusieurs années en Allemagne. Elle devint spécialiste des mystiques rhénans.

Ce témoignage vraiment très simple et sans qualité de style est cependant intéressant, car il n’existe pas beaucoup de textes similaires puisque peu de femmes prenaient alors la plume sur ce thème. 

Il n’est donc pas possible de savoir quelle sera l’importance de ce que l’on écrit à l’avance. C’est le prototype de la bouteille à la mer qui est le plus probable. 

Écrire lorsque cela correspond au désir d’écrire, ne pas écrire aussi bien quand l’incertitude vous prend.

Écrire sans prétendre être écrivaine, quel en est l’intérêt et l’enjeu ? Quand je lis les premières nouvelles de Georges Sand et leur maîtrise achevée, alors qu’elle écrivait comme un torrent, un flot fluide au fil de la plume, je me dis qu’il y a aussi une question de don dans l’écriture, aux deux sens du terme.

L’atelier d’écriture, dont j’ai mis un certain temps pour me décider à franchir la porte, a été pour moi une manière d’aller au-delà des contraintes qu’avait représenté le fait d’écrire dans le métier des études, dans une perspective plus ludique et au fond gratuite, sans avoir à gagner sa vie avec l’écriture, la soumission aux enjeux mercantiles et sociaux. L’atelier m’a permis de re-situer mon intérêt pour l’écriture, cette aventure de la découverte des mots et des phrases, de la découverte du dire. 

La dimension autobiographique a été une surprise par rapport à la psychanalyse, n’étant ni redondante ni substituable, peut-être plutôt complémentaire. Est-ce qu’écrire amène des remaniements psychiques comme l’analyse, probablement exceptionnellement. Mais il y a un bouclage qui n’existe pas dans l’analyse, le soulagement, la respiration d’avoir fini un objet à la fois semblable et autre que son histoire.

Dans l’autobiographie, fiction et réalité sont mêlées tant les souvenirs restent incertains, ténus, il faut aller au-delà de ces incertitudes et du désir d’exactitude. Il y a un retour sur soi, mais aussi une divergence qui seule rend possible ce qu’on appelle l’authenticité. Écrit-t-on pour soi ou pour les autres ou pour soi-les-autres ?

 

La philosophie tient aussi à une forme d’autobiographie, comme l’exprime Nietzsche dans Humain trop humain, cité par Lou von Salomé dans son texte sur le philosophe : « L’homme a beau s’étirer de toute la longueur de sa connaissance, s’apparaître aussi objectivement qu’il voudra : le seul fruit qu’il en retire n’est jamais pour finir que sa propre biographie ». C’est sur cette phrase que Lou von Salomé se calera pour son analyse de la pensée de Nietzsche.

Aimer lire peut ou non mener à l’écriture, il y faut en plus aimer s’exprimer. C’est un travail de recherche et de formulation. Il faut aussi savoir laisser aller sa plume.

« Je reconnus que j’écrivais vite, facilement, longtemps, sans fatigue ; que mes idées, engourdies dans mon cerveau, s’éveillaient et s’enchaînaient par la déduction au courant de la plume… que je connaissais assez bien la nature humaine pour la dépeindre » Georges Sand Histoire de ma vie

« J’écris avec autant de facilité que je ferais un ourlet… ». (2)

Aujourd’hui, je lis peu de littérature et mon penchant va vers des lectures philosophiques ou psychanalytiques. Écrire de la fiction ne me convient pas, inventer et construire des personnages, une histoire, une intrigue. Cependant, écrire un texte long doit être très satisfaisant. 

J’aime les romans picaresques, à rebondissements, qui mettent en avant le hasard, l’éparpillement, la diversité des situations, des traversées de la société, des milieux rencontrés, le côté incohérent de l’Histoire et des histoires, les personnages qui ne sont pas des personnages, le théâtre qui n’est pas tout à fait du théâtre : Jacques le fataliste et son maître de Diderot, Vie et opinions de Tristam Shandy de Laurence Sterne, Les aventures de Simplicius Simplicissimus de Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen, qui se situe pendant la guerre de Trente ans.

En 1839, Jules Verne, né à Nantes et qui avait onze ans, achète l’engagement de mousse sur un long-courrier en partance pour les Indes. Son père le rattrape in  extremis à quarante cinq kilomètres à l’ouest sur l’estuaire de la Loire, à Paimboeuf, et il avoue être parti pour rapporter à sa cousine un collier de corail. Très réprimandé et repentant, il promet : « Je ne voyagerai plus qu’en rêve ».

« Écrire demande de voyager », dit Georges Sand. Voyager au sens propre ou/et au figuré, voyager dans le social, voyager dans son époque, voyager dans la prose ou la poésie des autres auteur/es, voyager pour mieux comprendre ses voisins, sa famille, ses ami/es, sa destinée.
 

1 - Un intéressant ouvrage d’histoire de l’éducation est paru récemment sur les résistances rencontrées pour accepter les femmes dans le système éducatif en philosophie Annabelle Bonnet La barbe ne fait pas le philosophe CNRS Editions 2022

 

 2 - Ces deux citations sont extraites des préfaces du livre Georges Sand Nouvelles éditions des femmes-Antoinette Fouque 1986

Christine L.
 

Tag(s) : #Christine L., #Ecrire, #Textes des participants
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