J’aurais bien aimé naître dans ma campagne percheronne, là où je passe des heures et des jours privilégiés. Je l’aurais ainsi connu plus tôt et plus longtemps.
Passe-Rose, le lieudit des roses trémières, le royaume du calme et du silence où je suis simplement bien. Cet îlot au milieu des champs ressemble à une oasis verdoyante entourée de cultures de blé, de colza ou de lin, une année, j’avais eu l’impression d’avoir une mer bleue devant moi étale ou mouvante selon les caprices du vent. Ces espaces immenses s’étendent de gauche à droite, devant et derrière.
Les éclairages du matin, je ne les connais pas parce que je me lève tard, mais ceux du soir sont resplendissants. J’aime le soleil de l’ouest lorsqu’il allonge les ombres des troncs d’arbre sur la pelouse-prairie dont l’herbe éclairée paraît plus verte. Et les couchers de soleil auxquels j’assiste cérémonieusement sous l’auvent comme à un vrai spectacle sont toujours différents. J’attends la descente de l’astre plus ou moins rougeoyant ; les plus intéressants sont ceux nimbés de nuages évoquant des paysages imaginaires. Je les vis, je les observe, je les déguste avec un petit apéro. Et la lune se reflétant dans la mare me donne l’impression d’en avoir deux pour moi toute seule.
Une totale solitude bienfaitrice m’envahit, différée seulement par la présence de mes deux chats, le passage des chevreuils ou des sangliers dans les champs.
Et la vieille maison et son perron en pierre et son toit de vieilles tuiles. Cette maison ouverte aux enfants et aux amis quand je le désire et quand ils en ont envie. Les feux dans la cheminée, fumant ou ne fumant pas, elle chauffe à peine mais réjouit les cœurs, avec les potées dans le chaudron cuisant pendant des heures.
Le linge séchant sur un fil dehors, frappé et gonflé par le vent comme des spinnakers.
La musique s’élançant dans le jardin bien forte puisqu’elle ne dérange personne.
Et la saison des prunes mures qui s’échelonne sur un mois et qu’il faut ramasser régulièrement deux fois par jour si on ne veut pas être débordé. Les tartes, les clafoutis, les confitures et les prunes destinées aux containers pour l’alcool occupent pleinement la dame de Passe-Rose !
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l’ouverture au monde
Etant très jeune, j’aurais sûrement bien aimé que l’on m’aide à m’ouvrir au monde ; pas n’importe quel monde : l’inconnu et le mystérieux, le lointain, l’insaisissable, celui qui dérange peut-être mais qui permet de se trouver soi-même. Celui dans lequel j’ai été baignée durant ma jeunesse n’était pas de ceux-là. C’était un petit monde bourgeois, bien rangé et trop sage mais bien équilibré. Ce monde-là m’a façonné, certes, mais il m’a sûrement donné une certaine résilience qui m’a aidé à bien réagir tout au long de ma vie dans les petites épreuves que j’ai traversées.
Mais j’avais tout de même l’impression de prendre du retard sans le savoir véritablement. Alors je me suis réfugiée dans l’imaginaire, celui des aspirations et des désirs que je sentais bouillonner au fond de moi. En fait, j’ai dû les ranger assez rapidement dans les petits tiroirs de mon subconscient parce qu’ils ne semblaient pas correspondre à la vie que l’on voulait me faire vivre.
C’est beaucoup plus tard, probablement parce que j’étais prête, que les heureuses circonstances de la vie m’ont permis de pouvoir rouvrir ces petits tiroirs et de m’apercevoir avec beaucoup de satisfaction que mon imaginaire ne m’avait pas tellement trompée. L’ouverture au monde s’est alors faite assez rapidement et tout naturellement.
Mais il faut bien dire et reconnaître que, pour ce faire, j’ai tout de même été aidée et soutenue par quelqu’un rencontré assez tardivement. On ne s’ouvre pas au monde en solitaire. C’est un travail d’équipe si je puis dire même si cette équipe n’est formée que de deux personnes !
Quand « ce monde-là est ouvert », il ne se referme pas et on est obligé d’aller de l’avant jusqu’au bout de la vie et sans se retourner en arrière.
Pascale G.