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Une enfance parisienne.

Des immeubles et du macadam avec des feux rouges, une circulation très dense et le bruit des klaxons encore autorisés à cette époque d’après- guerre.  Mon lieu de vie était le boulevard de Courcelles dans le 8ème arrondissement de Paris, large avenue haussmannienne avec quelques platanes plantés régulièrement contre lesquels les chiens levaient la patte à chacune de leurs sorties. Ces arbres étaient le seul repère des changements de saison vu des hautes fenêtres de l’appartement.

Mais le parc Monceau n’était pas loin. Ce fut le lieu privilégié de mes jeux et de mes promenades après l’école et le jeudi après-midi : pâtés de sable, cerceau, balançoires et rêveries romantiques d’adolescente ; ce jardin bien entretenu me donnait un aperçu de la nature, certes domestiquée, mais assez authentique. La végétation était abondante, les arbres majestueux et les massifs de fleurs harmonieusement colorés ; j’appréciais particulièrement une pièce d’eau entourée de colonnes en ruine vraies ou fausses, canards et cygnes s’y ébattaient joyeusement, je leur donnais du pain ainsi qu’aux moineaux et pigeons, des chaises en fer étaient disposées tout autour ; cet endroit était fréquenté par de jeunes amoureux ou des solitaires comme moi lisant ou écrivant leurs pensées inspirées par ce lieu romantique et le plus souvent tranquille à certaines heures.

Ce parc est donc mon premier contact avec un semblant de nature existant dans une grande ville. Là, les saisons étaient bien présentes, quelques fois de la neige en hiver transformant complètement le paysage, les bourgeons printaniers et cet air léger que l’on attendait depuis des mois chargé de pollens, cause de mes premiers rhumes des foins, puis arrivait la chaleur douce et bienfaitrice annonçant les grandes vacances tant désirées.

 

- Mon paysage percheron

Des champs à perte de vue, à droite, à gauche, devant et derrière semés de blé, de colza, de maïs ou de lin selon les années. Mon oasis de paix est isolée au milieu.

Mon sol ne doit pas être très argileux puisque j’ai dû faire poser un liner pour retenir l’eau de la mare, par contre mon chemin  de terre peut être inondé.

Mon terrain plaît aux roses trémières, elles poussent même dans les pierres et chaque année je suis obligée d’en arracher ; c’est pourquoi mon lieudit se nomme Passe-Rose.

Malgré les tempêtes, le peuplier domine toujours mon petit domaine, le palmier est tout chiffonné et ébouriffé par le vent, le sapin se balance et les pruniers sont taillés par les bourrasques.

 

- le village de Saint-Victor-de-Reno

Après un fameux déjeuner, je sors faire une promenade postprandiale et pars à l’aventure. Après deux mois de tempête, la journée semble plutôt clémente. Je vais sur la gauche sans savoir pourquoi, je fume mon cigare et j’apprécie mais je n’ai pas pris de mouchoir et avec la fraîcheur, mes yeux pleurent un  peu, un revers de manche suffira. Je pressens des prémices printanières très timides, l’air frais est plus léger que d’habitude, un éclairage un peu blanc inonde la grisaille hivernale. Je dépasse l’emplacement des poubelles, plusieurs chemins se présentent à moi, je décide d’aller tout droit. Les primevères fleurissent de jaune et de blanc, je crois même voir un coucou prématuré, j’entends le ruissellement d’un fossé transformé en ruisseau à cause des pluies torrentielles de ces derniers jours, le vrombissement d’un engin agricole, le chant des oiseaux pour fêter cette fin d’hiver.

J’arrive à un cul-de-sac, à droite une allée conduit à une petite maison semblant inhabitée, je m’y engage, effectivement tout est fermé. L’habitation domine une grande prairie débouchant sur un étang bien rempli, derrière se trouve la masse grise et sombre de la forêt.

Je rebrousse chemin et j’aperçois au loin la mine de crayon bien taillée du clocher de Saint-Victor-de-Reno. Dans un pré, un agneau gambade pour retrouver sa mère. Le ciel bleu et blanc se déplace vers l’ouest. Je rencontre trois complices de notre stage d’écriture et Jean-Pierre m’offre deux violettes bien odorantes, les premières avec celles de mon jardin.

 

- Une route hivernale

La météo n’était pas bonne et annonçait verglas, brouillard et neige. Quoiqu’il en soit j’avais décidé d’aller à la campagne.

J’arrive à Nogent-le-Rotrou par le train comme d’habitude. Le sol était blanc mais ne glissait pas trop. Je monte dans ma voiture après l’avoir déneigée et je prends la route. Il est 18h30, il fait nuit. Quelques flocons tourbillonnent mais rien de bien méchant. La route empruntée par les voitures toute la journée est humide mais pas enneigée. Après Berdhuis, le sol devient glissant, pas question de freiner, je roule très lentement, des chauffards me doublent en zigzagant et je commence à ne pas être très rassurée. Le brouillard devient insistant et je vois très mal, heureusement qu’il y a les bandes blanches, avec les phares je vois encore moins bien, je reste en code. Je roule à peine à 50 km heure et suis un peu crispée sur mon volant mais j’avance tant bien que mal.

J’arrive au carrefour de Bellême, je suis presque arrivée. Je tourne à gauche vers Appenai-sous-Bellême, la route n’est plus balisée. Je ne vois plus rien, la route blanchâtre se confond avec les bas-côtés. Je suis obligée de m’arrêter. Je descends et me retrouve dans un brouillard épais, je ne vois pas à deux mètres. Que vais-je faire ?

 

- La carpe Koye

Lorsque j’ai fait poser un liner dans ma mare pour qu’elle tienne l’eau, j’ai tout de suite pensé à y mettre des poissons pour qu’elle soit habitée. Je suis allée à Mamers à la Jardinerie et j’ai acheté des poissons rouges et deux carpes Koye, l’une d’elles était orange avec des taches noires. Arrivée à Passe-Rose, j’ai éprouvé une grande joie à vider les sacs en plastique les contenant dans la mare. Tous frétillants ils se sont échappés dans les profondeurs. Ma mare était donc vivante. Chaque jour, je leur donnais à manger des petites paillettes spéciales pour poissons, mais je me suis vite rendu compte que les petits morceaux de pain faisaient aussi bien l’affaire et les régalaient tout autant.

Ils devaient me guetter parce que aussitôt que j’apparaissais avec mon pain ils arrivaient ; la première de tous était la carpe Koye orange et noire, à la verticale, la  tête hors de l’eau, elle me regardait de son regard de poisson en ouvrant la bouche pour happer les morceaux de pain avec gourmandise.

Le temps a passé, les poissons ont grossi et se sont multipliés. Il y en avait des noirs, des rouges, des blancs, des oranges et noirs. Les carpes Koye avaient dû frayer ensemble et avec des poissons rouges. La carpe Koye orange et noire avait la taille d’une grosse truite, toujours la première à venir à la surface quand je m’approchais, elle me regardait et attendait sa pitance.

Et puis un jour, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la vis accompagnée d’un petit crapaud agrippé sur sa tête. J’étais vraiment très étonnée. Ils fendaient l’eau ensemble. Deux mois passèrent, nous étions au mois de juin, et le couple carpe-crapaud continuait à nager en duo dans la mare. J’ai commencé à trouver cela bizarre et une sorte de malaise finit par m’envahir, ce n’était pas normal. Je décidais de mettre fin à cette fusion, armée d’une épuisette, j’évinçais le crapaud de la tête de la  carpe et je m’aperçus qu’elle était aveugle, ses yeux étaient blancs ; elle ne voyait plus le pain que je lui lançais. Deux mois plus tard, je l’ai retrouvée morte. J’étais désolée et je ne comprenais pas. Est-ce la carpe qui dirigeait le crapaud ou l’inverse ?

J’ai fait des recherches sur Internet et j’ai appris que pendant la saison des amours au printemps, certains crapauds prenaient possession d’un animal aquatique !

 

- Le soin

Mon deuxième doberman, Opitz, de race très noble et d’une élégance rare avait toutes les qualités d’un chien fidèle et affectueux, mais ne manquait pas de défauts. Malgré le dressage, il n’obéissait pas, mais surtout il ne supportait pas ses congénères. Quand nous habitions Le Vésinet, il faisait des fugues pendant la nuit et attaquait les chiens du quartier. J’ai eu un problème avec la propriétaire d’un bouvier des Flandres qui avait découvert une blessure infectée au cou de l’animal, le poil étant très épais elle ne s’en était pas aperçu tout de suite ; elle m’a assuré que c’était Opitz qui l’avait mordu, ce que j’ai nié bien entendu alors que je n’en savais rien.

Mais, un jour, en caressant mon chien, j’ai découvert qu’il avait une petite grosseur à l’encolure. Je l’ai emmené à l’Ecole Vétérinaire de Maisons Alfort qui a diagnostiqué une tumeur avec staphylocoque (je comprenais mieux la blessure du bouvier des Flandres !). Le traitement était une piqûre d’antibiotiques dans la grosseur une fois par jour pendant un mois. Je m’exécutais avec une certaine réticence, me voilà munie d’une seringue avec le produit en question. Je prends le chien entre mes jambes et je demande à l’un de mes fils de m’aider à le tenir afin qu’il ne bouge pas, j’enfonce l’aiguille d’un coup sec et le liquide pénètre là où il faut. Opitz n’a pas bronché.

Tous les jours suivants, lorsqu’il me voyait armée de ma seringue, il venait vers moi et s’asseyait pour que je le pique tranquillement, ce que je trouvais incroyable !

Par la suite, lorsque j’ai été obligée de travailler toute la journée, je n’ai pas pu le garder et j’ai dû le faire piquer à mon grand regret.

- Quel serait l’animal sauvage qui pourrait être en moi ?

Serais-je de la race des félins ? Panthère ou guépard ?  J’ai perdu leur souplesse et leur agilité si je ne les ai jamais eues dans ma jeunesse.

J’ai une certaine langueur contemplative voisine de la nonchalance comme eux.

Sauvage à mes heures et charmeuse à d’autres.

Solitaire et indépendante à souhait.

Orgueilleuse et fière.

Douce et tendre quand je le désire.

Ni rapide, ni carnivore mais gourmande, mes sauts ne sont qu’en parachute.

Par contre, comme eux, je dors beaucoup.

Toujours aux aguets malgré une apparence calme et détendue.

Indifférence feinte ou bien réelle.

Aime étonner et surprendre.

 

- Mare de Passe-Rose

Oh ! mare, espace liquide et changeant, que me réserves-tu aujourd’hui ? En ouvrant les volets ce matin, je vois que tu ne seras pas calme. Le peuplier tangue, le palmier est chiffonné et le sapin ébouriffé ; toi, tu te plisses et tes vaguelettes aboutissent inlassablement vers le bord poussées par le vent d’ouest, tu es très vivante ce matin. Le héron en ferronnerie toujours aussi majestueux se reflète dans ta mobilité et semble vivant aussi. Les poissons qui t’habitent resteront dans tes profondeurs calmes et protectrices, les oiseaux ne viendront pas boire sur tes bords éventés. La pluie picte déjà ta surface et augmentera ton volume.

Mais, dis-moi, hier soir tu étais plus sage, bien sûr il n’y avait pas de vent. Ton eau était sombre comme la nuit, pas si noire que cela puisque la lune avait pris rendez-vous avec toi. Elle se reflétait et se prélassait dans ton miroir liquide. Grâce à toi, je me retrouvais avec deux lunes, par contre le héron avait disparu dans les ténèbres.

Oh ! mare, à chaque heure du jour je t’observe et tu m’étonnes toujours, ta face liquide entretient ma curiosité, le mystère de ta diversité me fascine et m’entraîne dans des rêves de voyages avec des tempêtes ou bien des eaux calmes ; mais tout cela est une question de vent, ma chère, tu n’y peux rien et moi non plus, il t’influence et te dirige malgré toi dans ton espace clos. Tu ne peux pas aller bien loin mais cela me suffit.

 

- Les plaisirs du bain

La température de l’eau est parfaite, la mousse est vanillée ou jasminée. La baignoire est remplie au maximum mais ne débordera pas quand j’y entrerai. J’ai allumé la petite bougie rouge fixée dans le support de la douche. J’ai éteint le téléphone. J’ai mis un disque, les Impromptus de Schubert. J’ai allumé un bon cigare cubain. Tout est prêt pour un moment d’exception hors du commun comme je sais m’en réserver le plus souvent possible. C’est un rite de sensations et d’évasion, de détente et de plaisir.

Je me dénude et entre dans la baignoire. Je m’enfonce dans la mousse légère aux mille petites bulles scintillantes. Visite de Milady très étonnée par ce liquide mousseux, avec sa patte elle joue avec les bulles et la secoue rapidement quand elle ressent l’humidité. L’eau est chaude et m’enveloppe doucement. Je m’allonge et repose ma tête sur les coussins disposés à cet effet. Mon corps disparaît  dans le liquide doux et parfumé. Je ferme les yeux et j’écoute les accords délicats de Schubert. Je flotte physiquement et psychiquement. Je me laisse envahir par un lâcher-prise total. Je perçois chaque sensation avec délices. Je ne sens plus mon corps, j’ai l’impression d’être en lévitation. Les volutes de fumée de mon cigare s’enroulent et se déroulent voluptueusement pour s’échapper vers le plafond ; j’aspire et j’expire lentement, le goût un peu âcre du cigare reste dans ma bouche et je le savoure. Aucun bruit dans la maison en dehors des notes de musique, elles me conduisent dans un état de rêve conscient et je m’enfuis dans des contrées lointaines que je ne saurais décrire ; leur virtualité me surprend par leur réalisme. J’atteins une sorte de béatitude qui est tout simplement du bien-être. Les bulles de mousse finissent par disparaître dans l’eau encore bien chaude, mon corps apparaît alangui et détendu. Je prends du liquide savonneux dans mes mains et frotte ma peau énergiquement. Tout est doux et lisse. Pierre ponce pour les pieds et le rinçage peut commencer.

La sortie de la baignoire se passe bien et je me dis : « Encore sauvée pour cette fois » !

Après un essuyage méticuleux, j’étends du lait corporel vanillé afin d’éviter le dessèchement de la peau. Un peu de parfum sous les aisselles et dans le cou, j’enfile ma chemise de nuit et mon peignoir. Me voilà prête pour une longue soirée paisible. L’heure de l’apéro n’est pas loin…

- Un tableau nature avec Jean-Jacques Rousseau

Après déjeuner et entre deux averses, nous sommes allés dans le jardin pour créer chacun un tableau de la nature en prenant une photo à l’intérieur d’un cadre en bois.

Le mien est un jeune bouleau en pleine croissance soutenu par la protection installée par la « main verte » qui l’a planté. Il me fait penser aux forêts de bouleaux blancs argentés aperçus tout le long de la Neva entre Moscou et Saint-Pétersbourg. A son pied trône une taupinière bien humide et caillouteuse. Tout ce qui est autour sommeille encore, les mousses tellement mouillées prennent un ton jaunâtre,  les violettes abandonnent leur timidité, les primevères s’étendent un peu partout dans le désordre, les troncs d’arbres se décorent d’écorces anciennes blanchâtres et rugueuses.

En passant près des balançoires, j’aurais bien joué à l’escarpolette, j’adorais ce divertissement dans ma jeunesse, mais il n’y a pas d’âge pour se divertir, seulement aujourd’hui, le siège est très humide !

Pascale P.

Tag(s) : #Autobiographie et Nature, #Textes de l'atelier, #Textes de participants, #Pascale G
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