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On l'a échappé belle. Nous voilà! Nous rentrons tous les deux,  sains et saufs, miraculés, indemnes mais sonnés. Nous sommes attablés là, à l'intérieur de poste de secours surchauffé, affalés comme deux ivrognes autour d'un verre, la tête prise en étau  dans nos  mains. On s'interroge.

Comment avons- nous pu être aussi naïfs, aussi stupides, aussi aveugles et sourds pour nous engager dans cette aventure? Oublieux des signes, sourds aux conseils, ignorants des risques, enfin  si jeunes, si confiants et  sûrs de nous.

Il faisait grand beau ce matin-là, un ciel limpide, froid et pur comme un lac glacé.

C'était écrit dans le guide: parcours de difficulté moyenne, temps de marche moyen, dénivelé raisonnable, débutants bienvenus.

La carte et le territoire, ça n'est pas la même chose, mais nous n'en n'avions cure .

Notre équipement, bien

que léger, était correct, du haut de gamme, acheté la veille dans un magasin chic  de la station: Chaussures goretex, doudounes et sacs à dos Eless, pour moi un bonnet rose fluo ciglé Kenzo, pour lui une chapka imperméable doublée de fourrure.

La montagne toute rose dans la lumière de l'aube, semblait nous sourire.

Après une heure de montée, chacun réglant son pas dans le rythme de l'autre, notre première halte fut sans conteste comparable à l'arrivée de Roger Frison Roche au sommet du Mont Blanc. Un passage dans l'au-delà, une sorte de béatitude, un septième ciel. Il faut dire que nous étions en voyage de noces, nous étions en apesanteur, au dessus de tout

Au loin, les cumulus s'accumulaient, leur  cavalcade lente et silencieuse  s'amplifiait, étouffante.  Le bonheur sans nuage allait prendre fin, tout le laissait prévoir.

Et pourtant nous n'avions rien vu venir...

Nous repartîmes vaillants. Seuls  nos souffles réguliers et haletants comblaient le silence. Comme dans un conte d'Alfonse Daudet: «le vent fraîchit, la montagne devint violette»... Telle une feuille de papier calque, un épais brouillard se plaqua sur la montagne. Le sentier disparut, le moindre petit caillou blanc fut gommé, tous nos repères s'effacèrent en quelques minutes, nous laissant hors de l'espace et du temps, hors de nous mêmes.

Ne pas tomber, ne pas se perdre, rester ensemble coûte que coûte. Il fallait avancer dans le rien, dans l'épaisseur du temps,  dans un vide plein d'absences, un  nulle part.

Le danger. Comme une question sans réponse, un moment où l'on est abandonné, où plus rien n'est vrai, où plus rien ne compte, même pas les traces. Survivre, trouver un point d'appui, se recroqueviller. Attendre.

Ne plus rien voir, ne plus entendre, mais écouter, ouvrir les yeux, s'abriter de soi-même et de l'autre.

C'est ce que nous avons fait.  On l'a échappé belle.

Pierrette C

Tag(s) : #Pierrette C., #Textes des participants, #Le danger
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