Une soirée amicale entre amis dignement arrosée, les uns et les autres se vantant d’exploits réels ou inventés. Tout à coup du brouhaha général surgit la voix de Bertrand qui désire nous narrer le récit de son premier saut en parachute en tandem, offert par sa femme pour ses quarante ans.
- Écoutez, écoutez mes amis le récit de ce saut qui demeure inoubliable dans ma mémoire.
Je dois vous dire, qu’au delà de l’appréhension évidente précédant le saut, c’est une véritable giclée d’adrénaline à l’instant de l’enjambée dans le vide.
Après un briefing au sol d’un quart d’heure, j’embarque avec le moniteur pourvu d’un parachute. Il m’équipe d’un harnais spécialement conçu pour le saut en tandem.
On monte jusqu’à 4000 mètres, les battements du cœur s’accélèrent au moment de l’ouverture de la porte. Positionnés à la sortie de l’avion, nous sautons !
Fantastique ! Instant magique ! Sécurisé par la présence humaine dans mon dos, je n’éprouve pas la sensation de tomber mais de voler ! l’appréhension s’est évanouie et laisse place à un vrai sentiment de liberté indescriptible. Spectacle époustouflant ! Vers 1500 m, le moniteur déclenche l’ouverture du parachute, nous planons, la vue de cette terre qui se rapproche m’émerveille. Tout va très vite, trop vite et déjà nous nous posons… Inutile de vous dire l’état d’exaltation ou je me trouvais aprés cette équipée.
A la suite du récit de Bertrand, dans l’euphorie du moment, nous décidons de nous lancer dans cette aventure ..J’en fais partie…
Suivant les disponibilités de chacun une date est fixée. Notre ami s’occupe des démarches et des inscriptions.
Le jour programmé arriva.
Je ne reviendrai pas, sur tous les préliminaires effectués comme énoncé par Bertrand…
Nous voici dans l’avion harnachés à nos moniteurs, nous décollons. La gaieté règne dans la carlingue. Au fur à mesure que nous gagnons de l’altitude, le silence s’installe. Mon moniteur percevant une certaine anxiété de ma part, m’invite à m’asseoir, desserrant le harnais qui nous relie. Je prends place sur le banc, m’y agrippe avec force. Le regard fixe, les battements de mon cœur s’accélèrent, j’éprouve la sensation qu’il va exploser dans ma poitrine, la bouche ouverte je respire avec difficulté. Des bouffées de chaleur m’envahissent, j’entrouvre ma combinaison. Des tremblements s’emparent de mes mains, de mes bras, puis de mes jambes. Impossibilité de les contrôler. Je me perçois comme un pantin agité. Ma peur anéantit toute maîtrise et toute volonté.
En entendant l’annonce, nous informant que nous atteignons les 4000 m , la panique me submerge...Mon moniteur calmement et en souriant, m’incite à me lever, je me cramponne vigoureusement au banc. Je suis tétanisée. J’éprouve la sensation que mes jambes ne me portent plus. Les larmes perlent à mes yeux. Mes lèvres s’entrouvrent et laisse échapper un cri de refus qui se perd dans le bruit de la carlingue. Il tente doucement de me tirer vers lui, je résiste. Puis il commence à s’impatienter.
- Enfin d’une voix forte il m’ordonne de cesser cette comédie… « Vous êtes ici de votre libre arbitre que je sache ! »
A travers mes larmes, je devine le regard questionneur et surpris de mes amis qui me lancent des encouragements. La porte s’ouvre, les uns et les autres en duos s’approchent du bord de l’avion et successivement se lancent dans le vide.
D’un geste vigoureux, mon moniteur me met debout, me harnache méticuleusement, s’approche de l’ouverture et nous projette dans le vide.
Au contact de ce corps et de ses bras protecteurs toute ma peur s’envole.
Je pousse un cri. Mes sensations reviennent. La douceur de l’air ambiant est comme une caresse...Impression inouïe et déroutante de voler comme sur un matelas d’air dégagé de toute pesanteur, de tutoyer les nuages, la vraie liberté. Puis l’ouverture du parachute ralentit notre descente et me laisse le loisir de contempler le paysage qui se rapproche rapidement…Et puis vient le contact avec la terre qui s’opère avec douceur, respectant les consignes de mon moniteur.
Après cette tempête intérieure incontrôlable, je retrouve l’apaisement et un sentiment mitigé de fierté...
Reste inscrit dans ma mémoire, le souvenir de cette peur incoercible ressenti, après le décollage de notre avion. Mes amis se chargent de me le rappeler avec une amicale ironie…
Anne P.