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J'espère que mon père vit dans le repos maintenant, loin des boues grasses et mouvantes de ses peurs obligatoires...

Il avait peur pour nous. Nous ses enfants, sa femme et toute sa famille ; depuis le petit cousin jusqu'à la grand-mère cacochyme... Il tremblait pour ses amis et pour l'inconnu aussi, dans la rue, qui lui avait semblé -par une hésitation dans sa démarche ou le mouillé du regard-, mériter sa formidable attention. Tous. Même dans la peur, il était généreux. 

Avec à chaque fois, un œil halluciné de bête aux abois.  

Terrorisé fonctionnaire, il a passé ses jours et beaucoup de ses nuits à imaginer le pire pour notre santé, nos amours et la bonne santé aussi de nos études... Affairé à tout envisager, à  s'effaroucher de tout.... Minutieux dans le détail, perfectionniste et je dirais, inventif... 

Le teint blafard et la paupière creuse, les yeux cerclés du noir de l'angoisse et la bouche sèche,  il a vécu à chaque fois la montée d'adrénaline, le cœur qui bat plus fort, le taux de sucre qui augmente dans les muscles. Et il a crié.

Persuadé par son enfance de guerre et de désarroi qu'anticiper le malheur en écran géant dans son cœur et le craindre comme l'on vénère à deux genoux un Dieu terrible ;  lui permettrait de détourner de nous les causes funestes et leurs effroyables conséquences.

Il descendait de la chambre au réveil ; hagard, hirsute et les yeux exorbités de la mauvaise nuit. Fracassé de l'angoisse vécue dans son entier ; il posait alors sur nos têtes attablées un regard presque satisfait. 

La nuit avait été rude mais en valait le coup, songeait-il sans doute, à voir son air pour un temps apaisé. 

As-tu bien rempli ton office, lui demandait notre mère, invariablement narquoise...  et nous partions à nos affaires, presque rassurés du sacrifice paternel.

    Quand il s'est agi de guérir d' une dingue exotique ou de reconsolider un os brisé -voire un cœur en charpie-, il a semblé en prendre ombrage, s'en vouloir : il n'avait pas anticipé, il avait failli et le malheur en son entier s'était engouffré dans la faille. 

Il se jurait, -à le voir- d'être  plus vigilant et repartait dans son  angoisse, qui le rassérénait.

         Est-ce cette angoisse-là qui a gagné sur ton cœur, Papa ? Qui t'a rongé avant l'âge ? 

         Et pourquoi ne pas avoir, -dans tes calculs-, envisagé ta mort à toi qui arriva comme un voile noir sur nos vies, sans crier gare ?

           ...

         J'ai repris, -savez-vous-, en bonne fille, le flambeau paternel laissé à terre.

        Voyez mon œil exorbité !

        Mais c'est le monde en flammes que je projette, moi, sur l'écran géant de mes nuits.

        Et je crie.


 

Tag(s) : #Françoise C., #La peur, #Textes des participants
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