D'un soupir

Dans le cours ininterrompu des jours, je me souviens parfaitement, clairement, de cette première fois.

Installée tranquillement sur une chaise longue, je savourais une fin d’après-midi que rafraîchissait le Vent des Demoiselles. Mon esprit, libre de contraintes, voguait de-ci, de-là. Un soupir me surprit qui m’éjecta in petto de ma béate quiétude. Un soupir qui entrebâilla le monde, mon monde. Un flot de souvenirs désordonnés, incohérents colonisèrent alors mon esprit en une valse lente.

Portée par ce rythme langoureux, une phrase, très courte revenait sans cesse. Une litanie. « C’était la dernière fois ».

S’enchaînèrent alors sans logique ni jugement ces dernières fois.

La dernière fois que j’ai skié. La dernière fois que mon chien m’a regardé. La dernière fois que j’ai été enceinte. La dernière fois que j’ai mangé du caviar. La dernière fois que mon père m’a souri. La dernière fois que j’ai été amoureuse. La dernière fois que j’ai couru après un bus. La dernière fois. La dernière fois. La dernière fois.

Ivre de ce ballet que je ne savais interrompre, j’entrepris de devenir clairvoyante et décidai dorénavant d’identifier et prévoir les prochaines dernières fois afin de les assortir d’un au revoir.

La première fois que j’ai dit « au revoir » depuis ce jour, j’ai souri à un passé terni par les ans mais aussi à un avenir, forcément plus bref, mais comme fertilisé de mes au revoir. Ils allègent mon présent et laissent ainsi place à de nouvelles premières fois.