Comment bien se prendre un vent au vol (ou un vol au vent...)
Cette recette a fait ses preuves et, sans être dans le vent, est toujours d'actualité.
La condition sine qua none pour l'exécuter et d'avoir eu vent de quelque chose... Un ragot sur votre couple, une information sur votre moitié d'orange qui ait l'apparence d'un vent de travers. Ou un regard de l'aimé qui faseye dans la brise de votre relation.
De brise à bise, il n'y a qu'un pas ! Et je ne parle pas du baiser.
Et si jusqu'alors cette relation a eu le vent en poupe, d'autant plus...
Car il faut, en amour, savoir regarder d'où vient le vent.
C'est à vous, dit-on-, de faire passer sur vous deux,un souffle nouveau... Ben voyons !
La circonstance, bon sang, la circonstance !
Il ne s'agirait pas, non plus, de confectionner cette recette un jour de grand vent sous peine de la gâter surement. Ni quand, -après avoir trop levé le coude-, vous avez du vent dans les voiles...
Il vous faut toute votre maîtrise.
Mais on a beau dire, beau faire, autant en emporte le vent, souvent...
Non ! Si m'en croyez, mes belles, s'y tenir !
Le vol au vent, en fait, qu'est-ce-que c'est ? Un peu de pâte feuilletée garnie d'une bourrasque susurrée et diverses alizés, ou d'un zeste de vent d'autan mâtiné de blizzard moléculaire. Un souffle soufflé, murmuré aussi avec son variant épicé de mistral, ou alors un soupçon de tramontane ne virant pas à la tempête ; un doux zéphyr enfin,pour estomacs délicats... c'est au choix !
Et « se prendre un vol au vent », c'est, pensez-vous, un peu familièrement le manger, l'engloutir, l'ingurgiter... Se bâfrer pour compenser. Eh bien non ! Loin de moi l'envie de me battre contre des moulins à vent, mais vous n'y êtes pas du tout !
Et pour ne plus sentir le vent du boulet, je vous en conjure, agissez !
Si votre cher et tendre ne passe plus qu'en coup de vent, et le nez au vent ; vite, vite, réagissez !
Mettez-vous en cuisine, mes petites sorcières !
Et pas pour moudre ou faire du vent! S'il vous plaît !
« Le véritable chemin pour retenir un homme passe par son estomac. »
Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont les chinois !
Il vous faut confectionner le bouillon, la veille au soir. Un bouillon qui ne soit pas que de onze heures : il ne s'agit pas là de mesures extrêmes, juste de remettre les choses à leur juste place.
Ce bouillon ; c'est votre âme exprimée, c'est votre cœur qui bat !
Tout au fond de votre chaudron noirci du feu de vos pensées profondes ; déposez délicatement la définition de « ghoster » (épeler) ; ce synonyme de « prendre un vent » prisé des jeunes sorciers hyperbranchés : vous ne connaissez pas ? C'est nouveau ! C'est, disent-ils, une manière brutale et définitive de rompre le lien avec quelqu'un, en passant par le silence. Faites revenir le mot incriminé des deux côtés jusqu'à ce qu'il soit bien coloré. Versez alors un demi-litre de l'eau de vos larmes. -à défaut de larmes, prendre l'eau du robinet-. Rajouter trois demi-douzaines de « pourquoi » qui vont infuser ; assaisonnez d'un jus de « comment est-ce-possible », aussi ; (on a toutes ça à disposition dans nos cuisines, nous, les filles...) et d'une pointe de couteau de remise en question. Un soupçon de « mais-qu'est-ce-qu'elle a de plus que moi ? » si vous pensez que cela en vaut la peine. Maintenir à ébullition le temps qu'il faut.
Écumez deux fois votre mixture pour lui ôter sa mousse à mousson...
Ne pas oublier de saler ! Le sel est le piment de la vie.
Et puis touillez ! Touillez !
Laisser reposer, après, toute la nuit sur l'oreiller.
Et, -tôt le lendemain matin et contre vents et marées-, incorporez dans votre bouillon qui a infusé ; la fine farine des serments, les caresses et baisers qui serviront à empêcher ce vent à décorner les bœufs, de souffler et surtout empêcher de vous les poser à vous, ces cornes esseulées...
Faire monter cette béchamel épicée de tous vos beaux sentiments coupés en petits dès et la disposer dans votre pâte feuilletée façonnée dans le creux de votre main en petits cornets soufflés.
Passez au four. Thermostat chaud bouillant ! Hot ! Avec œillades et espoirs à la clé. Et puis, dès qu'il arrive ; servez.
Et surtout, -et c'est là que se situe tout le suc de la recette et sa réussite- ; si malgré cela, le cher et tendre se transforme en courant d'air ; et même et surtout s'il ne le fait pas... Dans les deux cas ; placez-vous au dessus de la mêlée : et soufflez-lui : Bon vent !
Mettez-le à la porte ! N'attendez pas qu'il vous la claque au nez !
Prenez alors votre chapeau de sorcière, vos gants en peau de chat, chaussez vos souliers pointus-pointus et cerise sur le gâteau ; réservez tout de go un billet pour les douces et lointaines îles sous le vent. Le premier vol.
Et... savourez !
(oui, vous êtes alors, la reine, car vous n'en avez fait... qu'une bouchée...)
Marie Alexandrine