Connaissez-vous Antoine de Tounens, Roi d’Araucanie et de Patagonie ?
En me promenant l’été dernier dans les rues de Périgueux, une plaque commémorative accroche mon regard, elle est noire lisse et brillante, gravée de lettres dorées. Sa lecture me surprend : qui est sa majesté, Orélie Antoine 1°, roi d’Araucanie ? En cherchant sur internet je découvre que le SFA (Souvenir Franco Araucanien) a remplacé en 2010 la précédente plaque très endommagée. Une question s’impose : Quelle majesté a vécu de 1852 à 1857 au 13 rue de la République à Périgueux ? A l’époque cette adresse est celle d’Antoine de Tounens, avoué au tribunal.
Quel est cet homme né en 1825 en Périgord, roi d’une contrée du bout du monde ? Un doux rêveur, un explorateur, un hurluberlu ? Ma curiosité me démange, je dois en savoir plus.
Mon enquête m’emmène visiter sa maison natale à Chourgnac au lieu-dit La Chèze, mes recherches se poursuivent au musée des rois d’Araucanie dans l’abbaye voisine, pour s’achever auprès de sa tombe dans le cimetière de Tourtoirac. Quelques jours plus tard, de retour chez moi, je plonge dans la biographie de ce fantasque personnage. Son règne a été très éphémère, juste deux ans, assez pour inspirer auteurs et réalisateurs. Aujourd’hui encore quelques fidèles se proclament héritiers de ce royaume, prolongeant ainsi la dynastie.
Qu’a–t-il réalisé d’extraordinaire ce Cyrano de Tourtoirac pour séduire ainsi les curieux ?
Issu d’une famille de cultivateurs aisés, Antoine de Tounens est l’avant-dernier d’une fratrie de neuf. Il grandit, bercé par la légende familiale alimentée par son père. Lui et ses frères seraient des princes, descendants d’un illustre romain. Fiers de leurs origines ils n’hésitent pas à faire modifier leur patronyme et y rajoutent une particule, le modeste nom Tounein s’anoblit en de Tounens. Antoine entreprend des études de droit à Toulouse et s’installe comme avoué à Périgueux. Il est initié à la franc-maçonnerie et devient membre de la loge des amis persévérants. Passionné depuis toujours par la géographie, il entend parler par ses relations, de « l’Amérique d’en bas » plus précisément de l’Araucanie et de la Patagonie, deux territoires convoités par le Chili et l’Argentine. Son rêve prend forme : la conquête d’une nouvelle terre. A trente trois ans il largue les amarres, abandonne son étude d’avoué et embarque pour le Chili. En homme prévoyant et résolu, il emporte dans ses bagages, des pesos frappés à son effigie, un sceau, un drapeau. Sur place il prend contact avec les tribus indiennes et apprend leur langue, découvre leurs coutumes. A l’été 1860 il arrive à Arauco en territoire mapuche pour rencontrer leur chef. Il bénéficie d’un incroyable coup du destin, depuis des millénaires la mythologie indienne raconte que le salut viendra de la mer, de demi-dieux blancs et barbus. Devant la fougue que manifeste Orélie-Antoine (c’est ainsi qu’il se prénomme dorénavant) les mapuches sont convaincus de voir en lui, l’élu. En quelques mois il est proclamé roi et les territoires d’Araucanie et de Patagonie sont réunis sous sa bannière bleu blanc vert. Orélie-Antoine1° de Tounens a enfin le royaume dont il rêvait et les mapuches leur sauveur. Il en avertit aussitôt les autorités chiliennes et argentines. Personne ne le prend au sérieux. Et pourtant la plaisanterie dure, le royaume se structure. En juriste averti il rédige une constitution de soixante-dix articles pour les mapuches, valeureux guerriers qui après avoir résisté contre les incas, contre les conquistadors mettent en déroute l’armée chilienne.
Deux ans plus tard, il est fait prisonnier, le gouvernement voit d’un très mauvais œil cet agitateur venu d’Europe, qui veut ouvrir une ligne de vapeurs entre Bordeaux et l’Araucanie. Et surtout il défend un peuple autochtone. Il est jugé fou, interné dans un asile d’aliénés. Grâce à l’intervention de la diplomatie française il est libéré et rapatrié. En France ce roi déchu est à l’étroit, il se considère en exil. De Tounens alerte l’opinion publique, lance une souscription pour récupérer ce royaume de « Nouvelle France ». Il parvient à trois reprises à monter de nouvelles expéditions, en vain. Suite à la dernière tentative, Orélie-Antoine tombe gravement malade et meurt à cinquante trois ans chez son neveu. Célibataire, sans enfant il désigne son successeur par testament un dénommé Achille 1°, son ancien secrétaire. Fidèles à sa mémoire ses présumés héritiers tentent de maintenir le pont entre ces deux continents. Ils créent une ONG pour la défense de l’autonomie du peuple Mapuche joliment intitulée Auspice Stella.
En hommage à sa majesté Orélie-Antoine 1° roi d’Araucanie et de Patagonie, la commune de Tourtoirac a érigé un monument en 2016. Ses fidèles dont un représentant amérindien s’y réunissent l’été, au mois d’aout. Ils ont à cœur de célébrer l’esprit d’Antoine de Tounens. Une telle audace ne peut être passée sous silence. Son règne fut éphémère, cependant au pays d’Ans ses traces demeurent toujours vivantes.