Elle est assise là, toute droite dans son lit. De fins cheveux blonds dessinent l’ovale de son visage. Ses yeux bleu-gris nous fixent un bref instant puis s’en vont loin, très loin. Où ? Je ne sais pas. Tant de gravité nous désarçonne.
Hier, les secours l’ont amenée. Ils l’ont trouvée sous les décombres d’un immeuble, unique survivante. Elle me fait mal, toute frêle et si digne. Dans ma blouse blanche j’ai envie de hurler, de la serrer dans mes bras. Elle se laisse soigner sans un mot, lorsqu’on suture sa tête aucune larme, lorsqu’on immobilise sa jambe aucune plainte. Autour d’elle un nuage épais de silence.
Cette nuit, dans ma chambre d’hôtel je ne peux trouver le sommeil, le gris-bleu de son regard me hante. Je me lève tôt, le ciel est encore bleu marine. La nuit a été calme, pas d’alerte. Le petit déjeuner tout juste avalé, je m’empresse vers l’hôpital. La ville est déserte, elle s’est vidée de ses habitants dès les premiers affrontements. Un frisson m’ébranle de la tête aux pieds, je remonte le col de mon manteau, le froid précipite mes pas. Ces grandes avenues rectilignes sont sinistres. Quelques soldats veillent. Au coin d’une rue, dans le jour naissant, la lueur orangée d’une vitrine. Devant moi un vieux magasin de bric à brac. Je pousse la porte, la sonnette tinte comme un son familier à mes oreilles. De ce capharnaüm multicolore, me voici projetée vers le bazar de ma jeunesse, farfouillant à la recherche de trésors. Ici, je suis chez moi. Cette fois encore, le trésor est là sous mes yeux, entre un cheval à bascule quelque peu amputé et un vase chinois aux motifs délavés se cache une marionnette de chiffon. Pierrot m’attend sagement. Il est irrésistible dans son costume chatoyant, avec son air slave il est tellement différent de ces frères vêtus de noir et blanc. Tendrement je le dépoussière. Les reflets de sa robe de satin chantent à la lune. Cet ami Pierrot ravive en moi une palette d’émotions, magie du rêve, merveille de nostalgie. Je le glisse sous mon manteau, paye mon écot et replonge dans la zone grise.
Arrivée à l’hôpital, je me précipite vers son lit. Elle s’est cachée sous la blancheur du drap, elle dort peut-être. Sans bruit je m’assois au bord du lit, son corps frémit. Mes doigts malhabiles s’agitent. Doucement Pierrot se dresse. D’un geste, elle découvre son visage. Dans un bruissement de soie il s’approche, elle entrouvre un œil. Pierrot incline la tête, elle ouvre le deuxième. De ses deux mains Pierrot applaudit. Elle sourit et lui tend les bras.
Françoise L.