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En préambule je citerai Cervantès affirmant : "La plume est la langue de l'âme » ou encore
« La plume est le prolongement de l’esprit et l’écriture est le miroir de l’âme. » 
Tout a déjà été écrit dit-on. Et pourtant, on écrit encore et toujours…

L’écriture pour moi n’est pas une fuite, un refuge. Dans l’écriture je ne recherche pas à ne plus m’appartenir, à « atteindre un état où le moi n’existe pas » contrairement à l’auteur norvégien Karl Ove Knausgaard. Mais dans la mesure où un texte, s’écartant volontairement du « je », se trouve dépersonnalisé, je considère que ce qui est écrit, ce qui a été écrit, devient un objet, un produit, une fabrication. Une fabrication émanant de l’identité qui est la mienne - comment faire autrement ?- le produit du travail effectué précisément sur cette identité qui a perçu, ressenti ; un travail impératif de mise à distance d’avec l’évènement vécu soit affectivement, soit intellectuellement ; une mise à distance par la dépersonnalisation des personnages, de même qu’une mise à distance par le style adopté.

Le fait de coucher par écrit une pensée, des sentiments, des impressions, revient à fabriquer un produit consommable. Ce produit disponible pour tous, devient donc susceptible d’être commenté, critiqué, aimé ou détesté, d’être traité avec la plus parfaite désinvolture (toutes réactions au demeurant qui prouvent que le texte a été lu, ce qui n’est pas si mal…).

Evoquée par Karl Ove Knausgaard, la désinvolture d’un auteur envers ce qu’il a écrit me parait être nécessaire, vitale pour lui. Je dirai même que c’est une question de survie pour l’écrivain qui, détaché de son texte, redevient libre à l’égard de ce texte. Cela évite qu’il se prenne au sérieux. L’auteur ainsi protégé par son détachement volontaire ne se sentira pas personnellement visé par les remarques faites sur ce qu’il a créé. Ce qu’il a créé n’est plus lui, n’est pas lui, c’est un récit, quelque chose qui raconte une histoire.

La désinvolture des lecteurs est parfaitement licite ; elle porte aux nues ou bien commente sans ménagement le texte.  Ce n’est pas sur l’auteur en tant que personne que la désinvolture s’exerce et s’acharne, mais sur le produit qui a été créé. Si le produit ne plait pas, tant pis. Il existe, c’est tout.  Si le produit plaît, tant mieux ! 

La désinvolture à l’égard du texte écrit, la mise en distance opérée par l’auteur détache celui-ci de son produit, devenu par cette mise à distance un texte parmi tant d’autres sur terre.  

Flaubert ne disait-il pas : « L’auteur dans son œuvre doit être, comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part ». 

Pour prendre la plume on s’autorise à sortir du quotidien, le planter là, aux différentes étapes de l’écriture : lors du travail intérieur de préparation mentale à ce que l’on écrira, puis lors de l’écriture elle-même, enfin lors des relectures. Du projet au texte achevé, on vit avec un texte, on y pense, on y revient, on le modifie, mentalement ou physiquement en portant les modifications sur le papier. Dans ce que l’on écrit on peut coucher sur le papier ce que l’on vit à l’instant T, ou ce que l’on a vécu, ou encore ce que l’on aimerait vivre, ses projets. L’évasion est à portée de main. Tout ce que l’on ressent, ce que l’on a ressenti, joies, peines, souvenirs heureux ou malheureux, rêves aussi, tout ceci trouve une juste place dans l’écriture. Elle abolit les frontières, laisse une totale liberté à l’imagination, comme celle de Mary Shelley dont la créature Frankenstein devient un monstre qui dépasse son maître.

Parfois aussi, le lecteur découvre une âme sœur chez l’auteur : je ne sais plus qui a dit « un bon livre est un bon ami » ni celui qui a déclaré n’avoir jamais connu de chagrin qu’un bon livre ne fasse disparaitre. Serge Doubrovsky écrivain et professeur de littérature affirme quant à lui :
« Un auteur qu'on aime fait autant partie d'une vie qu'un ami, qu'une femme aimée. Les rapports qu'on tisse avec lui, au fil des ans, font partie du tissu intime. » Si l’auteur peu sûr de lui savait cela …

S’atteler à l’écriture favorise l’épanouissement de goûts et aptitudes de l’auteur, de même que la prise de conscience de contraintes élémentaires.  

Quelle satisfaction d’approfondir son goût de la découverte du mot juste, précis, exactement celui qu’il faut pour décrire telle situation, tel état d’âme. Avec Gustave Flaubert, je dirai « La difficulté capitale, pour moi, n’en reste pas moins le style, la forme, le Beau. »

Les mots doivent créer des images mentales, tout comme la peinture crée des images visuelles déclarait Salvador Dali et nous connaissons tous la remarque de Nicolas Boileau, dans L'Art poétique :"Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément." 

Pour Elsa Triolet : “Le style n’est pas le vêtement mais la peau d’un roman. Il fait partie de son anatomie comme ses entrailles.” 

Mais il faut bien admettre que parfois un temps considérable est nécessaire pour trouver ce fameux mot juste, le ton convenable qui saura garder l’attention du lecteur. Objet de traités, de débats, de règles conventionnelles, de modes, de nombreuses évolutions, le style est essentiel dans la transmission du contenu au lecteur.

Dès lors que l’on s’affranchit des règles conventionnelles de style, l’écriture offre une liberté totale. Marguerite Yourcenar n’a-t-elle pas déclaré (j’appliquerai cette phrase au style) « L'écriture permet de traverser des zones interdites. » Et Marguerite Duras : « Ecrire c’est se laisser faire par l’écriture. C’est savoir ne pas savoir ce que l’on va écrire. Ne pas croire qu’on le sait. » 

On connaît l’importance du poids des mots, mais il est toujours bon de se le remémorer. 

Rudyard Kipling : « Les mots sont la plus puissante drogue utilisée par l’humanité. » 

Les phrases peuvent être très brèves, effleurer les objets dans « l’écriture courante » pratiquée par Marguerite Duras : « celle qui n’insiste pas, qui a à peine le temps d’exister. Qui jamais ne coupe le lecteur, ne prend pas sa place. Pas de version proposée. Pas d’explication. » Ici plus qu’ailleurs le livre se construit à deux, en symbiose.

Le préalable de l’introspection, la réflexion doivent me semble-t-il nécessairement précéder l’acte d’écriture. La formulation ne fait que suivre la précision de l’analyse de soi et de la technique à utiliser, analyse à laquelle on a procédé avant d’écrire.

Plus largement, Michel de Montaigne rappelle « Je n'écris pas pour raconter ce que je sais, mais pour découvrir ce que je pense." 

Il me semble tout aussi nécessaire de mettre une distance entre le moi et le récit, même s’il est très autobiographique. « C’est un de mes principes qu’il ne faut pas s’écrire. » déclare Gustave Flaubert. Pour lui dans l’écriture, le « moi » de l’expérience particulière doit être transformé en une forme dans laquelle tous peuvent se reconnaître. Le moi est un matériau comme un autre. Sans plus. Il ne doit pas se dévoiler.  Le moi doit être exprimé en toute « impersonnalité ». Et je partage cette opinion.

Le goût de raconter une histoire semble un atout pour qui veut écrire, qu’elle provienne de souvenirs ou de l’adaptation du souvenir à la réalité d’un tout autre contexte, contexte déterminé par le lectorat visé : expert, adulte, enfant …et par le type d’ouvrage. Je citerai Kundera : « Le roman est une méditation sur l’existence vue au travers de personnages imaginaires. » et Virginia Woolf : « L'écriture est une conversation avec soi-même et avec les autres. » 

Chaque souvenir est original, individuel. Les souvenirs d’un même évènement vécu par plusieurs individus diffèrent d’une personne à l’autre, comme on le constate dans les témoignages d’accident par exemple. Cela ouvre largement l’espace des narrations.

Parmi les contraintes élémentaires favorables à l’écriture, on peut évoquer :

  • La tranquillité, si difficile à obtenir en famille. 
  • Une solitude physique (Duras à Neauphle-le-Château).
  • Une solitude de l’âme pour faciliter la réflexion ou laisser exploser ses fureurs et révoltes.
  • La nécessité absolue d’écrire quotidiennement selon Hemingway "Si l'on veut être écrivain, il faut écrire tous les jours, même sans idée."
  • Enfin, savoir que si l’on ne ressent pas impérieusement le besoin d’écrire, on ne pourra jamais devenir un véritable écrivain confie Rilke dans Lettres à un jeune poète. 

Décrire avec précision, raconter en tenant en haleine, évoquer en un vocabulaire choisi, sur un ton adapté n’écarte pas les inquiétudes de l’auteur. 

Concernant les personnages, je redoute que les personnes ayant inspiré ce que j’écris ne se reconnaissent et considèrent que je viole leur intimité, et je crains de trop révéler de moi-même. 

A propos de la rédaction, l’angoisse demeure : ne pas aboutir à un texte cohérent, agréable à lire, qui adopte le ton juste. En clair, ne pas réussir à remplir correctement la page blanche, la célèbre page blanche…

Fredaine

Tag(s) : #Ecrire, #Textes des participants, #Bénédicte -Fredaine
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