Première voix (tonitruante) :
- Arrête d’écrire. Écoute moi j’ai quelque chose à te dire.
Deuxième voix (impassible) :
- Ecrire ne m’empêche pas de t’écouter.
Première voix (interrogative):
- Pourquoi t’écris ?
- Parce que …
- Parce que quoi ?
La seconde voix reprend doucement mais sûrement :
-Tu veux vraiment le savoir, alors je vais te le dire.
-Non, je vais te l’écrire, comme cela tu pourras le lire sur la page, Noir sur blanc.
La première voix se fait séductrice :
- Oui fais le ! Tout de suite, s’il te plaît.
Aussitôt la deuxième voix prend sa plume, noircit la page d’un trait :
Écrire pour ne pas tomber, fendre la brume.
Avancer mot à mot, pas à pas, un pied après l’autre.
Effacer le spleen du soir et les chagrins de pleine lune
Compter les jours sans fin, égrener le temps qui passe.
Ecrire pour se souvenir de ta main dans la mienne, des croissants du matin, de ton sourire entre les draps, de la voix de mon père.
Écrire pour décrire la lumière du matin, la fraîcheur du soir, la mousse des arbres, l’odeur des champignons, le clapotis du lac au fond des bois.
Ecrire et entrevoir dans le noir un éclair de lumière,
Ecrire, c’est une étoile qui surgit du fond des mers
Écrire, une fantaisie à inventer des histoires sans queue ni tête, des contes de sorcière à dormir debout.
Ecrire, l’art de jongler avec les mots, de danser avec les phrases, d’enjamber les paragraphes,
Ecrire et se réjouir
Écrire pour crier par la fenêtre, ne jamais se taire, faire grincer la plume.
Oser le dire, vaincre sa peur, extirper de soi la honte et la colère.
Ecrire est s’autoriser et mieux encore, se faire entendre.
Écrire et trouver sa voix.
Ecrire c’est accoucher dans la jouissance et la douleur.
Les mots remontent du loin des entrailles.
Cacophonie geignarde, borborygmes informes, balbutiements dérisoires.
Sur la page ils s’habillent de velours, se font dentelles, soieries ou brocards.
Écrire et mourir un peu ou enfanter beaucoup.
En lançant ces mots, j’ai la vanité qu’ils rebondiront quelque part, loin ou proche. Ils tinteront peut-être aux oreilles d’un autre, lien ténu entre celui qui écrit et celui qui lit
Ce que mes mots vont devenir ?
- Peu importe ! C’est leur vie, une histoire qui ne m’appartient plus.
Françoise L.