Si j’écris, ce n’est pas pour cultiver un Moi qui serait l’élément unique qui me permet de coucher sur le papier ce que je suis, c’est bien plutôt pour découvrir et défricher cette terra incognita qui n’est pas visible et pourtant qui ensemence cette façon particulière qui est la mienne et seulement la mienne. Cette façon de se montrer à l’autre n’est pas le fait de ce Moi, qui par nature est imaginaire mais elle est accrochée à un Soi, qui créé une complexification car il faut compter sur le rapport de Soi à Soi. Quand j’écris, je me heurte à une différence de nature.
Qu’est-ce qu’être Soi?
Sans pouvoir répondre directement à ces questions, une opacité vient au jour. Si j’écris, la parole se met en sourdine, faisant naître des mots qui m’interrogent par leur valeur. Je n’écris pas comme je parle, cela suppose une perte radicale dans la jouissance. Cela ne veut nullement dire que je n’éprouve pas de plaisir mais il me faut rompre avec l’immédiateté des mots dits et digérer leur charge émotionnelle. J’essaye d’atteindre une certaine essence en transformant ce que le langage charrie comme limon et le sens profond que je ressens. Bien sûr, j’échoue à chaque ligne, mais en persévérant, j’affine ce que je ne peux dire et qui insiste dans ma volonté à écrire.
A chaque fois que j’écris, les textes sont très différends.
Cela peut être de l’auto-fiction, auquel cas, je laisse aller ma plume avec un zeste de mystification , même si je n’ignore pas que lorsque j’écris, une part inconnue de moi s’exprime mais un sujet m’inspire et se crée . Quand j’ai trouvé le fil, je mets la plume au travail et je suis souvent étonnée de ce qui s’écrit.
D’autres fois, c’est la fiction qui l’emporte et fait vivre les personnages. Alors, j’essaie de ne pas les trahir et je suis souvent étonnée de l’histoire qui se raconte. Les héros sont devant moi et me demandent de les suivre en y mettant, il est vrai , un peu de mon grain de sel!
Si je relis ces textes un an plus tard, il m’arrive de penser que c’est quelqu’un d’autre qui les a écrit. Comme quoi, j’ai perdu un peu de mémoire. La mémoire a besoin d’oubli, preuve s’il en est, que l’écriture a rempli une partie de son emploi.
Si je m’interroge plus avant sur mon envie d’écrire, un mystère plane sur mon désir.
Certes, écrire pour donner un texte en pâture aux autres et me déposséder rend l’affaire plus légère, encore faut-il se débarrasser du pathos. Ce Moi qui recouvre une partie de Soi et d’Inconnu m’ encombre et me dévoile tout autant. Écrire est pour moi une façon de me débarrasser, tant que faire se peut, de l’oral pulsionnel forcément un peu primaire et de me fait naître autre. Je peux alors aborder aussi bien des sujets différends que des moments de ma propre vie. A distance, ils se révèlent d’une «seconde» nature. Mystifiés ou non, ils parlent de mon rapport à l’écriture qui est teintée de ce que je suis et que je ne sais pas.
Livrer à la feuille les mots qui me viennent me permet une séparation entre ce que j’essaie de dire et ce que j’écris.
Guidée par les consignes, le chemin tortueux que je pratique me saisit à chaque fois. Vais-je arriver à dire et surtout à écrire ce qui sourd de mon esprit? Parfois, j’ai le sentiment que je suis entraînée malgré moi dans une direction qui me dépossède de mon propos et que je vais découvrir un univers que je ne soupçonnais pas. Les mots me débordent et j’avance dans un labyrinthe compliqué qui livre à regrets des pans insoupçonnés qui s’imposent sans mon autorisation. C’est parfois bienvenu, parfois abscons et je rature à tout va.
Mon rapport à l’écriture est complexe et si la simplicité que j’y mets frôle de trop près la réalité, je ne détruis pas mes phrases à tout prix, j’attends de voir si mon indécence est à propos.
Ce que je redoute le plus en écrivant, C’est surtout de manquer d’inspiration.
Véronique Kangizer