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Du côté salon de l’appartement de ma mère, au foyer résidence «les mimosas », le portrait peint d’une femme que je n’ai jamais connue, préside. Cette femme à l’œil clair, au chignon brioche et aux pommettes hautes parée d’un long sautoir et de pendants en or représente ma  grand-mère maternelle. Il nourrit au quotidien la nostalgie affective de ma mère et par filiation me plonge dans mes propres souvenirs d’enfance. 

Pour toute ma famille comme pour moi, le terreau familial s’enracine à la ferme de Bricquebosq située dans le canton des Pieux, à l’ouest de la presqu’île du Cotentin. Au cœur du bocage, j’ai grandi dans cette  ferme austère à la cour carrée. Les longs toits de pierre en schiste bleu extraites des carrières de Tourlaville, abritent toutes les étables, l’écurie et les charreteries. Les bâtiments alignent leurs hautes portes arrondies et leurs escaliers de pierre conduisant aux greniers et fenils où je grimpe rien que pour sentir les odeurs de foin, de blé ou d’orge engrangés là. L’été quand un grenier se trouve à moitié vide il devient le royaume de nos jeux avec mes sœurs et leurs amies du hameau de la Fraserie ; Les rires fusent et les pitreries vont bon train; Le soir, à l’heure bleue dans le tintamarre des chants d’oiseaux la main dans la main avec mes sœurs nous nourrissons la basse-cour où se mélangent coqs, dindons, pintades, poules et autres canards. Ma poule préférée s’appelle Coco. .  

 La maison restaurée déborde de vie entre le travail et l’humeur du jour. Dans la pièce de vie, le tourne-disque alterne entre les valses viennoises chères à ma mère et les chanteurs yé-yé adorés de mes frère et sœurs. Le soir le feu crépite dans la cheminée en granite taillé à la mine de Flamanville située sur notre canton, et tous devant la télévision nouvellement acquise, nous écoutons le journal après qu’il soit annoncé par la speakerine permanentée Catherine Langeais. Nous découvrons un autre monde. 

Notre monde à nous c’est  Bricquebosq qui a la particularité d’avoir été la ferme du château y attenant. A ce titre son achat en 1928 par mes grands -parents maternels les enorgueillit et attise leur ambition, surtout celle de mon grand-père, en les classant un peu supérieurs à ceux de la commune.

Jeune, ma grand-mère veuve d’un premier mariage, reste seule avec son fils, prénommé Charles comme son père,. Ce dernier alors qu’il était dit d’âme chevaleresque est tué d’un coup de sabot de cheval.Ce triste veuvage complète la dote épargnée de ma grand-mère et la rend propriétaire du bien de son défunt mari ; Cette situation ne laisse pas indifférent mon grand-père jeune cultivateur encore chez ses parents paysans. Cette union d’amour et d’intérêt lui évite de partir au Canada comme son frère aîné  qui y fera fortune, tout du moins sa descendance. Courtisée après la messe et les vêpres du dimanche ma grand-mère accepte en seconde noce le jeune cultivateur bien qu’il claudique à cause d’une balle qui se perdit dans sa fesse gauche pendant la Grande Guerre. Il lui est recommandé par sa tante, cousine par alliance plus ou moins éloignée du prétendant. L’idylle est aussi soutenue par son frère curé de la paroisse de Nacqueville.  De belle allure, reconnu par ses paroissiens et l’archevêque pour son instruction, il vient de renoncer à partir missionnaire à Ceylan, ne voulant pas abandonner sa sœur à la neurasthénie. Leur père régisseur du manoir du Quesnoy  l’aurait voulu ainsi pense-t-il. 

Dés leur union bénie le nouveau couple s’installe à Bricquebosq. Ma mère est la troisième enfant de ce remariage mais à sa grande détresse sa mère meurt lorsqu’elle atteint sept ans. La petite photo dans son médaillon qui a servi de modèle au portrait de son appartement date de cette année là.

L’année où avec sa sœur Geneviéve elle est envoyée au pensionnat des religieuses de Picauville à cinquante kilomètres de leur maison parcourus dans un  cabriolet tiré par Pompom, le cheval préféré de leur père et, qui viendra les rechercher pour Noël et Pâques. Leur oncle curé veille à ce qu’on prenne soin d’elles. L’une des plus jeunes pensionnaires et bonne élève ce n’est pas difficile pour ma mère d’être cajolée, en revanche pour Geneviéve qui a perdu toutes ses facultés c’est un calvaire . Sans doute la petite souffre-t-elle d’une dépression enfantine sans que personne n’y songe étant sous la sainte protection de Dieu! Pourtant les prières et les Ave Maria récitées plusieurs fois par jours n’y changent rien. 

A douze ans , le certificat d’étude obtenu ma mère est privée de continuer des études.  Mon grand-père décide de récupérer ses filles, et il reste sourd aux suppliques de la mère-religieuse , l’enjoignant à laisser ma mère étudier pour devenir institutrice. Il y a du travail pour ma fille Denise à la ferme répète-t-il avec courroux. C’est vrai il a du travail pour elle, les gens de la ferme n’y suffisent plus depuis qu’il a développé un commerce de beurre, de lait, d’œufs et de volailles auprès de commerçants et autres notables de Cherbourg. Son affaire tourne bien, grossit, il en est fier sans jamais l’avouer.  Il est d’un caractère autoritaire et taiseux. A table chacun sait, les commis comme les petites bonnes, que lorsqu’il ferme son couteau et le range dans sa poche il signale la reprise du travail sans une minute à perdre; Tous s’exécutent. 

Peu de temps avant le retour définitif de ses filles, celles-ci sont venues effarées au remariage de leur père avec Henriette, femme de la campagne voisine, célibataire. Elle ne plaît pas à ma mère restée chagrinée de l’absence de sa propre mère encore si belle et élégante dans son souvenir. La vie a repris avec cette belle-mère sans doute plus désemparée que marâtre avec quatre enfants de deux mariages différents plus le sien né de son récent mariage.

Plus ma mère grandit plus elle idéalise la vie qu’elle aurait pu avoir avec sa propre mère dans cette ferme de Bricquebosq. Mais sans elle, elle participe comme tous aux tâches quotidiennes. L’Hiver elle va  au ramassage des pommes dans le givre du matin, l’été elle approche les bottes de foin aux meules. Heureusement il y a le samedi soir où elle rejoint la petite troupe de théâtre de la commune dirigée par le curé avec sa bonne et le dimanche où elle joue de l’harmonium pour accompagner les cantiques. Secrètement ces échappées avivent sa loyauté à sa mère qui aimait la lecture et les bonnes manières. 

 Pour conjurer son abandon et sa déchirure affective elle s’attache à Bricquebosc pour le reste de toute son existence et par amour pour sa mère elle désire en faire  la chrysalide de sa future famille.  Ainsi selon sa volonté ma mère hérite de la ferme lors de son mariage et c’est le  berceau de ma plus tendre enfance. 

Les aléas du destin amène ma famille à quitter ce fief mais cette ferme familiale reste mon ancrage. Mes racines sont enfoncées dans sa terre.  Et  comme le papillon se développe au chaud  dans son cocon avant de s’envoler pour son destin, j’y puise mon tire d’aile pour aller plus loin.

Francine 

atelier du 26 mai 2023

Tag(s) : #lignées, #Francine H., #Textes des participants
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