TEMPO-TANGO
Du côté de mon père, cela remonte très très haut et très loin.
Malgré le romanesque et chevaleresque il n’y a pas pour moi matière à créer ni atmosphère inspirante ni même réalité à inventer au sein de cette tribu où tout s’était passé par la cuisse gauche et légère des horizontales nordiques qui finirent par se faire une vertu juste un peu trop tard pour que cela les ¨lave¨ des taches indélébiles des turpitudes rémunérées des successives générations de jeunes femmes refusant d’avoir les mains bleuies et douloureuses à force de laver et frotter un linge ne leur appartenant pas;
Finalement l’expression * Par le fer et par le feu ¨leur convient parfaitement !
Les hommes vendant leur épée au plus offrant, les femmes leur corps et leur vertu aussi avantageusement ou plus.
Ils étaient beaux, ils se cultivèrent et n’avaient plus rien à prouver au bout de quelques siècles. Je regrette simplement que l’incendie qui détruit une partie de ma maison mortagnaise m’ait privée de la beauté de mon arrière grand mère dernière courtisane ayant brisé la chaîne de galanterie et devenue sage et bigote, mariée, embourgeoisée dont le peintre avait su immortaliser l’infinie beauté jusqu’à l’incinération de la maison où elle fut à jamais purifiée par le feu .
Là où je me sens le plus chez moi c’est dans les méandres byzantins de la lignée maternelle Byzance, les Balkans, l’ empire austro-hongrois, l’esprit tordu de l’empire byzantin hypocrite, néfaste et toxique m’enchantent.
Une longue série de Celle qui aurait du, Celui qui aurait pu, Celui qui n’a pas pris le temps ou ne l’a pas eu, Celle qui l’a laissé passé ce temps consacré à l’affût des ragots malveillants, humoristiques et cruels, chronophages et pourvoyeurs d’une génération spontanée de vieilles filles et vieux célibataires assez surprenante.
Ma mémoire de l’hotel particulier se dressant fièrement tel le dernier des mohicans, sur la place Kolonaki à Athènes, devenue le rendez vous de la jeunesse et des intellectuels grecs à la pointe de la mode, unique vestige des maisons anciennes bourgeoises à la splendeur surannée sandwichée entre deux immeubles de 8 étages le 14 bis arborait son manque d’eau chaude courante et ses parquets à échardes comme des décorations in memoriam des batailles perdues contre la modernisation en fait contre l’évolution.
Mes grandes tantes régnaient sur ces ruines orgueilleuses d’un temps où pour passer à table on accrochait une plume ou un bijou à ses cheveux et caressait les cascades de perles des longs sautoirs de plus en plus plastifiés mélangeant ainsi l’avant et l’après guerre.
Le temps s’était arrêté au dessus du 14 bis Place Kolonaki tel un nuage de nostalgie.
Une foultitude de soubrettes à tabliers impeccables mais de moins en moins stylées couraient dans les escaliers avec moi à leurs trousses rêvant de me réfugier dans une de leurs chambres et avoir accès à leur collection de trésors tel ce caniche royal météorologique devenant violet par beau temps ou vert pomme par temps de pluie, un chef d’oeuvre pailleté du kitch dont je raffolais !
Tante Hélène dansait souvent tango les bras écartés en balancier, seule et vêtue d’une robe de soie noire luisante de style années folles les yeux perdus vers le plafond où elle semblait suivre le mouvement des étoiles s’échappant d’une boule de dancing, ces moments ludiques se terminaient toujours dans une colère refoulée, dans des larmes de frustration mélange d’hormones en folie et de nostalgie que sais-je, sous l’oeil réprobateur de tante Iphigénie implacable depuis son dernier mariage la faisant Lady et l’oeil impavide de tante Marika se préparant à se rendre au Casino de Loutraki pou y engloutir quotidiennement les derniers deniers de la famille .
J’ai longtemps associé la musique du Tango à la tristesse d’un départ ou bien à celle du non départ, ou tout simplement comme Léo Ferré le dit si bien au fait de ne pouvoir faire marche arrière comme on le fait pour danser le Tango et comme dans la chanson je fredonne et enferme précieusement les notes dans l’album de souvenirs de tante Hélène dont je me sens étrangement proche aujourd’hui.
Diana W.