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Le petit Emile a disparu. Il jouait près de la maison de ses grands-parents dans un hameau de Haute Provence .

Il fait très chaud. Une chaleur torride, une canicule écrase le Sud de la France depuis plusieurs  jours. Je suis  en vacances. Avec Allan. Mon Allan. Bien que nous ne dormions plus ensemble depuis longtemps, nous nous aimons et nous aimons tous les deux les matins. 

Nous avons nos habitudes, nos gestes d'une vie provençale et monacale. Comme au couvent le réveil est totif, les premières lueurs du jour et les premiers chants d'oiseaux nous jettent dehors.  Dans l'odeur bourgeoise de bon café et de pain bio grillé,  Alan lit Le Monde jusqu'à 11heures, moi je me recouche et je lis. 

La journée  s'annonce  lente et paresseuse, lourde, rythmée  comme un vieux  tango  toujours au même pas.

Vers treize heures la question du déjeuner se pose de façon à la fois évidente et cruciale:  Qu'est ce qu'on mange?

Moi je n'ai pas faim avec cette chaleur. 

Emile a disparu, il a deux ans et demi, une petite bouille ravissante, on le cherche

On tourne en rond, ça n'avance pas,  la France entière étouffe et piétine, le pays tout ensemble cherche Emile.

A la télé, dans les prés desséchés, dans les caves, les greniers, même dans  les meules de foin. La télé Alan et moi,( surtout  moi), regardons BFM, souvent vers quatorze heures, après le petit rosé du midi pris au bord de la piscine, suivi de la salade tomates mozza à l'ombre, sous la tonnelle. Là,  au-dessus de la table de jardin, pendent de lourdes grappes de raisin, il sera bientôt mur. Je regarde en l'air...

 Emile ne nous  manque pas, au contraire, l'enfant est omniprésent, sa disparition et le mystère qui l'entoure comblent ces moments où nos vies traînent dans la vacance. 

Et cette chaleur! 

Moi, à mes heures perdues, je suis pigiste.

Mais je ne pige rien au message qui arrive à l'instant sur ma messagerie.

C'est une offre, une proposition, une sorte d'énigme comme dans un jeu de société ou dans Fort Boyard...«Rendez vous dans le petit village de Tarquinia écrasé de chaleur, coincé entre la mer et la montagne, et racontez, racontez aux autres ...»

J'hésite, rien ne m'oblige, j'hésite encore, mais finalement je me  décide, j'y vais. 

( Avez-vous remarqué la proximité phonétique entre ces deux mots: j'hésite, je décide, moi je l'ai remarquée, c'est ce que j'appelle le sourire de l'écriture, j'aime quand les mots sourient...) 

Tarquinia, Je cherche ce petit village dont le nom sonne comme le trot d'un petit cheval taquin, mais je ne le trouve pas. On aura voulu me taquiner.

 Me voilà égarée. J'ai beau sillonner la carte, entrer dans le GPS le petit village de Tarquinia, coincé entre la mer et la montagne… rien ne vient sinon… juste l'idée d'une carte postale aux couleurs défraîchies, un trou perdu... nulle part... Enfin sur wikipedia on m'apprend que Tarquinia est une ville d'Italie de 16000 habitants. La nécropole étrusque du même nom se situe à quelques kilomètres à l'est de la ville, dans les terres. 

Ça ne colle pas! On m'a sans doute mal renseignée. Pas de petit village coincé entre mer et montagne, pas de bar où le Campari coule à flots, pas plus que de spaghetti vongole, non, rien. Je visite cependant la nécropole, je découvre avec curiosité les fresques peintes le long des parois des sépultures. Il y a des personnages, des animaux, surtout des petits chevaux, qui ont donné son nom à la ville pour les raisons phonétiques donnés un peu plus haut, des scènes de vie pour que les morts n'oublient pas de vivre, de temps en temps…

Plus je cherche ce village,  moins je m'inquiète pour Emile. S'il a disparu, c'est sûrement sur le dos d'un petit cheval taquin, qui l'emporte, un cheval pareil à ceux  de Chagall peut-être...

Nonobstant, j'aimerais bien trouver ce patelin avant demain. 

C'est peut-être après tout un lieu bidon, un bidon village, une bourgade imaginaire, tout simplement un petit bled littéraire.... 

Là,  ça commence à m'intéresser… je ne cherche plus, ce n'est plus un village, c'est un lieu, un lieu où rien n'a lieu, rien de spécial.  Je le sais bien, ce genre, c'est déjà pris par quelques uns et quelques unes, tous plus où moins amateurs de Campari. Mais toute honte bue, j'insiste, je m'incruste, et m'y installe, un rien peut en cacher un autre, j'ai trouvé! Le LIEU   

C'est là, sur la plage, il n' y a presque personne, la mer sera haute vers 15 heures, au loin des petits bateaux bien sages se dandinent au soleil. 

Deux femmes, Jane la quarantaine épanouie dans son deux pièces noir à pois blancs, Sylvie svelte et olympique moulée dans un maillot une pièce noir uni, discret mais sexy.

 Elles sont assises à même le sable, elles regardent la mer, leurs bras enserrent leurs genoux, elles ne font rien, elles parlent. 

Quand on regarde la mer tout est possible, mais elles, elles parlent de la chaleur, des enfants, des bienfaits du yoga, du goût des pêches de vigne, de l'importance de bien s'hydrater, elles parlent aussi des choses qui se voient dans les yeux, de celles que l'on ne voit pas, de la patience qu'il faut aux femmes pour supporter les hommes. La banalité de leur propos les repose, regarder au loin les rapproche.

- Il fait chaud dit Jane

- Oui 

- On est bien quand même , 

- C'est pas normal cette chaleur

- Non c'est pas normal, mais il faut en profiter, enfin, il paraît

- Tu fais des rêves érotiques toi la nuit ?

- Oui ça m'arrive, enfin, presque jamais 

- Moi, j'ai fait un rêve cette nuit, un drôle de rêve , remarque un rêve c'est toujours étrange. D'ailleurs je ne sais pas si c'était vraiment érotique ce rêve

- ...Dis toujours...

- Un homme, que je ne connaissais pas, me prenait dans ses bras,  il me serrait très fort, ça durait longtemps.

- C'est tout?

- Oui, il ne se passait rien d'autre,  mais après j'ai gardé cette sensation de ses bras autour de mon corps pendant toute la journée, une sensation bien réelle d'être tenue et bercée. Je t'embête avec mes histoires… C'est toujours chiant les rêves des autres.

- Non non pas celui-là, j'aime bien quand il ne se passe rien, enfin tu vois ce que je veux dire… Et puis je vais te dire, il m'intéresse ton rêve  .

- Ah? Pourquoi?

- Eh bien je ne l'ai encore dit à personne,  mais j'écris un livre

- Ah bon! il parle de quoi ton livre? 

- Justement, je ne sais pas trop, je crois qu'il ne s'y passe rien, c'est difficile à dire. Mais  moi tu vois mon rêve à  moi c'est d'être éditée, d'être reconnue, d'avoir du succès, de  me faire un nom de sortir du lot, et pourquoi pas d'être célèbre .

- Ah, alors ça ma petite , je peux te le dire, ce n'est pas un rêve érotique, encore que, à y bien réfléchir...

- Je crois que j'ai une idée …(Jane se lève)

La mer est haute, il est 15 heures, les premiers autres arrivent chargés d'énormes sacs difformes, un au bout de  chaque bras le parasol coincé sous l'aisselle, ils cherchent la meilleure place au soleil.

(Totif est le contraire de tardif)

Pierrette C

Tag(s) : #Pierrette C, #Textes des participants, #Tarquinia
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