Il est 6 heures 30, tu dors encore. Autour de toi, tout est noir, tout est calme. Tes amis ne sont pas loin, ils dorment sans doute encore. Le soleil commence tout juste à se lever, mais tu ne le vois pas puisqu’à cet instant tu dors encore.
A 6h34 exactement - tu n’as jamais compris pourquoi 34 et pas 35 mais n’as jamais osé poser la question - toi et tes 49 camarades êtes réveillés en sursaut - c’est comme ça tous les matins - par une espèce d’explosion tellement violente que, peu à peu, vous vous êtes tous mis à la détester. Au point, d’ailleurs, pour certains, certains jours, de risquer la crise d’épilepsie ou l’arythmie cardiaque.
Le grand maître, après avoir tiré un coup de fusil digne d’une des scènes de « La règle du jeu », passe dans l’allée. Tu le redoutes, tu l’aperçois au loin et finis par le distinguer, pour enfin le voir te bondir dessus et t’en donner une bonne car, évidemment, comme chaque jour, tu es incapable de faire en à peu près 30 secondes ce qu’un enfant normal de 12 ans ferait en à peu près 10 bonnes minutes…
Ici, c’est comme ça. Il faut tout faire plus rapidement que la normale sans broncher, sans parler, sans pinailler. Mais à peu près la moitié d’entre vous pinaillent, allez savoir pourquoi ! En rang ! Chacun devant son lit, l’oreiller tapé, posé sur la couverture crasseuse, elle-même pliée en huit.
Tu es souvent à la traîne, tu te fais réprimander, tu es souvent de corvée, puni, humilié, parfois même fouetté. Tes camarades subissent le même sort, mais tu constatais avec effroi que certains prenaient un malin plaisir à jouer le rôle du bourreau. Chacun son tour, c’est la règle ! Ici la vie c’est ça : pas de pitié, pas d’amitié et aucune fidélité.
Tu apprends vite, tu observes, tu repères rapidement les copains de galère, et ceux dont tu ne dois en aucun cas t’approcher. Tu repères les chefs, les soumis, les arrangeants, les balances, les faux-amis, ceux que tu pourras soudoyer, utiliser et ceux, au final très peu nombreux que tu pourras peut-être espérer voir devenir tes amis.
Le Grand Chef te regardes, l’air désespérément débile mais tellement grand et tellement fort que tu veux bien considérer la débilité comme un état normal par nature… Pour une fois, tu échappes à ses mains énormes et dures, pleines de crevasses et de crasse, très certainement contagieuses car porteuses du virus de la débilité. Celui d’en face n’a pas la même chance que toi. Deux ou trois aller-retour, de vraies danses, et Monsieur se traîne par terre comme une mauviette, quelle honte !
5 minutes pour aller se débarbouiller face à un seau d’eau froide et sale. Pas de savon, pas de serviette. Tu as froid, tu t’habilles péniblement ce matin. Quelle andouille, tu mets tes chaussettes à l’envers ! Malheureusement pour toi, elle puent autant à l’envers qu’à l’endroit, il va falloir te contenter de ça. Peu importe, enfiles moi ça, car là où tu vas mon garçon, on ne fait pas d’histoires sur la propreté des chaussettes.
Ça se précipite tout à coup : tout le monde en rang, c’est le moment de partir. Pour une fois, pas trop de grabuge, ça a l’air de se tenir, tout le monde est affairé. Rapidement, tu enfiles tes chaussures, ton tricot, tu mets ta casquette et finis par enfiler ton manteau qui tient debout tellement la crasse s’est accumulée. Au signal du grand chef, tout le monde en rang, départ coordonné obligé, vos pas doivent s’emmêler, vous partez travailler. Allé, en route pour une longue et pénible journée, dans le froid et dans le noir. Ça fait quelque chose de vous voir partir, tous en rang tête baissée. Vous êtes tous très jeunes oui, c’est vrai, vous êtes tous mineurs, c’est vrai aussi, mais des mineurs… de fond, alors en route pour la mine !
Christophe L.