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Ne voulant pas rester sous le joug des allemands, Bastien décida en Avril 1942 de rejoindre un des maquis du Vercors. Parti de Suresnes, il fut arrêté du côté de Flanac et incarcéré au château d’Eysses, forteresse transformée en prison pour de nombreux opposants politiques.  Les conditions de détention étaient cauchemardesques, les rats envahissaient les cellules, les prisonniers ne sortaient dans l’enceinte qu’une fois par semaine et la nourriture était si frugale que ses forces l’abandonnèrent pendant de longues semaines.  L’occasion de s’évader se produisit quand les alliés bombardèrent Biarritz et sa région. L’été tirait à sa fin, il fallait faire vite.

Lors d’un bombardement, il se faufila au travers des barbelés alors que le soir tombait et que la lune était masquée par des nuages orageux. Il dévala la prairie qui n’en finissait pas et, hors d’haleine, se réfugia dans les bois où, après avoir marché un bon moment, il finit par tomber de fatigue. Noir était le paysage, pas l’ombre d’une étoile, il s’endormit jusqu’au petit matin. L’aurore le cueillit mais il resta caché jusqu’au soir tombant. Puis il se remit en route pour rejoindre le Vercors, se cachant dans les masures abandonnées ou bien chez des paysans quand ceux-ci ne sortaient pas le fusil pour le faire déguerpir. Sa jeunesse en bandoulière, rien ne lui faisait peur, pas même le long périple qui l’attendait entre le Sud-Ouest et le Vercors.

Cette épopée lui fit traverser des paysages sublimes, mais le plus sublime apparaissait à la tombée de la nuit, quand, entre chien et loup, la lourdeur du jour s’évaporait pour laisser place à une féerie d’odeurs. Les parfums capiteux de ces décors champêtres, à chaque fois différends, emplissait ses narines et ces picotements lui procuraient, en plus du bonheur d’être libre, des sensations de légèreté empreintes d’une euphorie augmentée par le jour finissant. L’opacité lui apportait une étrangeté teintée de familier qui lui rappelait sa vie d’avant. Un soir, des chuintements lui  parvinrent aux oreilles et, en y regardant de plus près, il vit un couple de chouettes qui hululait pour rassurer leurs  petits. Leurs yeux ronds, à part quelques mouvements de paupières, finissaient par créer une atmosphère de contes d’antan. Des chevreuils ou sangliers se transformaient en formes chimériques, effrayantes ou bénéfiques selon l’état d’esprit de ses pensées qui affleuraient à sa mémoire. Dans ces moments là, Bastien était heureux malgré l’adversité ambiante, la rudesse de sa condition et la faim qui le tenaillait. Il avait beaucoup maigri, mais sa liberté retrouvée lui donnait des ailes.  Alors se côtoyaient les images de ses amours de jeunesse. Il croyait voir dans la pénombre des formes féminines qu’il essayait de saisir au passage car l’ombre et la lumière diffuse lui permettait toutes les excentricités dont il avait envie. Un discours sensuel tout en images s’établissait, elles lui répondaient puisqu’il jouait de ce décor feuillu pour inventer des histoires amoureuses et son désir montait avec le manque, d’une façon douloureuse et vertigineuse. Il s’endormait ravi et tombait dans un sommeil de plomb. L’odeur étoilée de ces ciels changeants lui procurait un ravissement qui le ressourçait, ainsi, au petit matin, il se sentait accompagné par les histoires de ses nuits si imagées et colorées qu’ils en devenaient réels. Dès que l’aurore dissipait ses songes nocturnes, la réalité le rattrapait, la faim , la soif et le besoin de se cacher devenait sa priorité. Alors il se remettait en quête d’un abri ou d’un repas chez des paysans patriotes ou simplement courageux. Dès le soir venu il reprenait sa marche vers ce Vercors qu’il souhaitait rejoindre pour devenir un héros.  A la nuit tombée, les personnages qu’il voyait défiler devant ses yeux reprenaient corps et il se dit qu’il n’avait jamais vécu aussi intensément. Son cœur battait la chamade quand ces jeunes femmes, aussi belles les unes que les autres, venaient peupler ses nuits. Elles se montraient toujours différentes, toujours aussi désirables et elles lui faisaient signe de les rejoindre dans un cocon amoureux qu’il appelait de ses vœux. Ce scénario l’absorbait une bonne partie de la nuit et au matin, épuisé , il se laissait tomber à l’ombre d’un arbre.

 Un soleil de plomb le réveilla et fit redoubler ses hallucinations, le laissant hagard et perdu dans cet espace temporel qui fit marcher les arbres dangereusement proches et menaçants. Un mauvais pressentiment l’angoissait et il attendit derrière un rocher que l’opacité ne revienne. Des horreurs transformaient ses rêves en visions alarmantes, ses sylphides étaient devenues des sorcières menaçantes, alors la fièvre s’installa, alimentée par le manque de nourriture.

-je deviens fou- eut-il le temps de se dire et un trou noir l’engloutit. Combien de temps passa-t-il avant de se réveiller dans un lit propret, un visage juvénile au-dessus de sa tête.

-Je m’appelle Camille, nous avons eu peur pour votre vie, ma famille et moi vous avons recueilli soigné, lavé, donné des tisanes bienfaitrices, et bien vous revoilà. Il était temps, car des allemands quadrillaient la région-

Lentement, les brumes de ses obsessions régressèrent et il reprit des forces. Camille avait un visage de madone, un corps gracile et il ne tarda pas à tomber amoureux. Elle passait maintenant le plus clair de son temps avec lui et leurs promenades nocturnes débarrassèrent l’esprit de Bastien des scories imaginaires de ces derniers temps, la réalité remplaçant la fiction.

La douceur du soir signa la fin de son délire.

 Le ciel et la terre maintenant au diapason l’ avaient réconcilié avec la vie. Mais son désir de résistance ne l‘avait pas abandonné  et leurs adieux furent déchirants .

Il partit au crépuscule, Camille avait rempli un sac à dos de victuailles tout en pleurant son amoureux tombé du ciel.

                                                   VERONIQUE   KANGIZER   SEPTEMBRE 2024

 

Tag(s) : #Véronique Kangizer, #Textes des participants
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