La voiture cahota sur le chemin rocailleux qui montait jusqu’à la maison. C’était une vieille Range-Rover qui ne se fabriquait plus et qui bien sûr, n’avait pas la climatisation. Quand elle sortit de la voiture la femme était rouge cramoisi et ses yeux respiraient la fatigue et l’agacement.Elle poussa un soupir de désolation
-Marc, s’il te plaît, apporte moi un verre d’eau bien frais, j’avais dit à l’agence que nous voulions que tout soit branché avant notre arrivée, avec un peu de chance, une carafe sera dans le réfrigérateur.
C’est à ce moment-là qu’elle sortit sur le perron
-bonjour, je m’appelle Andréa et je suis là jusqu’à la fin de vos vacances. Il est prévu que je fasse les courses, les repas, un peu de ménage et pourquoi pas un peu de compagnie dit-elle en souriant à la cantonade. Aucun d’entre eux ne répondit à son sourire, au contraire, elle avait le sentiment d’être en trop.
-Bon, j’ai préparé vos chambres, je vais au village chercher un colis. Je vous laisse vous installer tranquillement. Elle prit sa vieille deux chevaux et descendit le chemin abrupt, desséché par ce soleil de plomb.
Quand elle rentra deux heures plus tard, elle vit un petit garçon plein de vie, dont la mère n’arrivait pas à calmer l’ardeur.
Ariane, c’est comme cela qu’elle lui demanda de l’appeler, était en nage, malgré la douche presque froide qu’elle avait prise longuement.
-Il fait toujours aussi chaud en cette saison?
-Il fait chaud, oui, mais cette année, c’est un record de canicule. J’ai d’ailleurs fermé les volets pour que la chambre ne soit pas trop chaude. Le ventilateur tourne à plein, j’espère que cela sera suffisant pour que votre nuit soit réparatrice.
Ariane sortit sur la terrasse qui donnait sur la piscine et s’écroula à l’ombre d’un parasol.
-Andréa, pouvez-vous vous occuper de ce petit monstre pendant que j’essaie de récupérer de ce voyage infernal. Il s’appelle Gabriel.
-Bien sûr, viens, Gabriel, nous allons faire connaissance. Le petit bonhomme la suivit d’un air docile, content d’échapper au regard souvent agacé de sa mère.
Elle la vit se détendre un peu mais elle la trouvait absente. Seule son irritation contre la chaleur et son insatisfaction la faisait exister.
Elle était belle, très belle malgré les heures enfermées dans ce sauna à quatre roues. Le soleil était encore haut et plombait l’atmosphère qui sentait le sable roussi, les fleurs séchées et le varech moisi. Même les mouches faisaient un bruit de colère, on sentait bien qu’elles aussi avaient trop chaud, ce surcroît d’énergie pour décoller leurs ailes les rendaient agressives. Pour nous, cela l’était tout autant car elles piquaient sans cesse sur notre peau odorante de sueur et d’odeurs.
Marc, son mari depuis dix ans, apparut en slip de bain, le corps parfaitement imberbe, assez bel homme. Il avait la cinquantaine distinguée, un visage altier et des yeux d’un bleu océanique. Andréa se fit la réflexion qu’elle en ferait bien un amant de passage. De grosses gouttes perlaient sur sa peau mais il donnait le sentiment de ne pas en souffrir. Il se pencha sur sa femme avec une douceur amoureuse qu’on ne voit que chez les jeunes couples.
-Tu viens, Ariane, un petit plongeon te fera du bien. Après toutes ces heures en voiture, les bouchons, le pneu crevé, nous sommes enfin débarrassés des contraintes. Détends-toi, ma chérie, le but est atteint, nous n’avons plus qu’à nous laisser aller et profiter de ces vacances bien méritées.
-Tu me fais rire, Marc, comment veux-tu que je me détende avec 41° à l’ombre. Je ne suis pas comme toi, simpliste, qui peux passer d’une sensation à une autre, comme si rien ne pouvait te pénétrer. Là, j’ai envie de pleurer, de hurler, de tout casser tellement je suis mal.
Il ne releva pas le côté «simpliste» dont elle l’avait affublé et plongea tête baissée dans l’eau, éclaboussant au passage Ariane qui bougonnait encore.
-Elle est bonne, hurla Marc, j’en rêve depuis que ce foutu pneu a crevé, je n’arrivais pas à sortir le cric, ni à dévisser les boulons, et je pensais à cette eau miraculeuse qui nous attendait.
Ariane, terrassée par la chaleur, le ciel bas qui l’écrasait, se dit que ça démarrait mal et que Marc, qu’elle adorait depuis longtemps, lui tapait sur les nerfs. Elle se savait injuste, mais elle lui en voulait de ne pas la plaindre, de ne pas la comprendre. Elle aurait voulu qu’il la prenne dans ses bras, évente son visage, la prie à genoux de venir et la porte jusqu’à l’eau pour que ses pieds ne brûlent pas sur ce dallage bouillant. Elle lui résista par caprice, pour vérifier que son cœur, tel le jour de leur rencontre, lui appartenait. Mais Marc, fatigué du voyage, ne pensait qu’à lui. Prise à son propre piège, elle resta sur sa chaise longue, terrassée par ce cagnard qui lui donnait mal à la tête.
La chaleur eut les même effets que l’alcool, elle se sentit couler et eut envie de disparaître, ne plus côtoyer cette atmosphère poisseuse qui la ramenait à son enfance triste de petite fille solitaire en Guyane. Elle décida de ne pas dîner, prévint Andréa de son intention et lui laissa gérer la soirée père-fils. Arrivée dans la chambre, elle prit deux somnifères et s’écroula, c’est tout ce qu’elle put trouver pour cacher son air hagard.
Le soleil était déjà haut lorsqu’elle ouvrit l’œil, elle avait la bouche pâteuse et la sensation que son crâne allait exploser. Marc avait déjà démarré sa journée sans l’attendre, ce qui alimenta son fiel. Aussi, après une douche longue et fraîche, elle descendit dans la cuisine vêtue d’un tee-shirt et d’une mini jupe qui ne cachait pas grand-chose de son anatomie.
Des rires emplissaient l’escalier, sans doute Marc et cette fameuse Andréa. Elle l’aurait préféré laide et grosse, elle était gracieuse et son humour plaisait visiblement à Marc. Ils se turent quand elle parut dans la cuisine et il se précipita pour savoir ce qu’elle désirait.
-J’ai mal au crâne, un Alka-Selzer, c’est la seule chose que je peux avaler pour l’instant. Toujours au petits soins, il grimpa rapidement au premier étage et revint avec ce qu’elle demandait. Elle mesurait ainsi son pouvoir de séduction dont elle abusait régulièrement. Elle se sentait malgré tout irritée et devint désagréable avec Andréa.
-Si vous vous dépêchez, vous pourrez arriver avant la fermeture et m’acheter un pamplemousse, des yaourts, car ceux que j’ai vu au réfrigérateur ne me conviennent pas et une ficelle bien croustillante.
Andréa lui sourit, prit le porte-monnaie qu’elle lui tendait et partit rapidement, oubliant ses lunettes de soleil qu’elle regretta très vite. Les yeux lui brûlaient tant la clarté obsédante du soleil au zénith se révélait dangereux. Elle rentra les yeux injectés de sang, mais c’est avec une grande rapidité qu’elle prépara le jus de pamplemousse et le déposa sur un plateau avec les yaourts demandés.
Ariane remercia Andréa du bout des lèvres, heureusement, Marc, en parfait gentleman, lui proposa un verre à partager et lui proposa de l’attendre dans la pergola un peu plus fraîche. Elle accepta avec un sourire charmant et quelques minutes plus tard, un plateau , trois verres, du saucisson, cacahuètes et un cocktail de son invention créa une ambiance complice entre eux. Ariane prétexta une migraine et monta dans sa chambre. Des rires lui parvinrent bientôt, signe qu’ils passaient un bon moment. Elle prit son polochon dans les bras et se mit à pleurer de rage et d’impuissance. Elle se promit de partir seule le lendemain matin aux aurores et se releva pour mettre en vrac dans un sac à dos une serviette, son maillot de bain, sa crème solaire et une tenue pour que Marc ne l’entende pas s’en aller. Deux somnifères et elle tomba dans un sommeil de plomb.
Andréa, Marc et Gabriel dînèrent tous les trois aux bougies et cette soirée donnait une respiration autre à l’ambiance qu’Ariane distillait depuis leur arrivée. Il était tard quand il la rejoignit dans la chambre, elle dormait en ronflant bruyamment, néanmoins, il caressa doucement son front en sueur et l’embrassa tendrement. Il la connaissait bien et ces sautes d’humeur reflétait pour lui son mal-être de petite fille mal-aimée. Regrettant ce manque de gentillesse avec Andréa, il ne lui en voulait pas pour autant.
Quand il se réveilla avec le soleil, le lit était vide. Il descendit à la cuisine où Andréa préparait déjà le repas de midi. Une bonne odeur de café l’attendait et il s’installa face à elle. Dehors, la fournaise laissait entendre le chant des grillons et ce bruit du Sud lui plut. Aucun nuage dans le ciel, la journée promettait d’être torride.
Pendant ce temps, Ariane après s’être promenée dans les ruines de Tarquinia, avait continué son chemin jusqu’à la plage où elle s’étendit sur sa serviette. Il faisait très chaud, même s’il était encore tôt, et elle courut jusqu’à l’eau. Elle croisa un homme qui sortait de la mer et elle se fit la réflexion qu’elle le trouvait extrêmement sexy et ténébreux, un beau brun au regard sauvage. Quand elle sortit de l’eau, il avait placé sa serviette à côté de la sienne et était allongé sur le ventre. Il avait l’air de dormir mais ouvrit l’œil quand elle s’affala sur son drap de bain.
-Qu’est-ce qu’une jolie jeune fille comme vous fait toute seule à la plage?
Elle se sentit flattée par ce terme de jolie jeune fille, elle qui avait plus de trente ans et qui se désespérait déjà des quelques rides d’expression sur son visage de madone.
-Et vous, vous êtes un vieux loup solitaire ou vous avez été abandonné?
-Je fais toujours ce qu’il me plaît quand il me plaît et aujourd’hui, c’est la version seul!
Elle mit son bob pour cacher son visage du soleil et fit semblant de dormir. Un silence chargé de désirs s’installa mais les trente cinq degrés eurent raison d’eux et ils se levèrent presque en même temps. Il lui proposa un peu d’ombre dans sa cabane située à une centaine de mètres, elle accepta comme un défi de suivre cet étranger. A peine entré dans cette petite masure, assez proprette au demeurant, il l’attrapa sauvagement, écrasant ses lèvres contre les siennes. Cette brusquerie la changeait de Marc, si délicat mais ce goût de l’interdit la fit perdre pied.
Il la prit comme un sauvage, elle se sentit comme un objet et son désir n’avait plus d’espace pour exister. Lui revint furtivement cette pensée qu’elle avait souvent adolescente, «à quoi bon» qui la plongea dans une profonde détresse. D’autant qu’il lui fit mal, enserrant ses poignets fragiles avec une force bestiale. Quand elle voulut se dégager, trop tard, il la pénétra sans ménagement. Son cœur s’accéléra et elle pleura en silence. Sa jouissance à lui fut rapide après quoi il la repoussa sans ménagement et sortit. Choquée par ces moments où elle avait le sentiment de ne pas être là, il lui fallut retraverser cette digue du «à quoi bon vivre». Que s’était-il passé? Avait-elle été violée? Une irréalité l’envahit. Elle resta sur le lit défait quelques minutes qui lui semblèrent des heures pour que le désir de vivre la ramène à l’ici et maintenant. Elle se rhabillât en hâte et avança jusqu’à la dune pour attacher ses sandales. Elle récupéra sa serviette et son sac qui était toujours sur la plage et avec une force insoupçonnée, elle courut d’un trait jusqu’à la villa qui était vide. Elle remercia le ciel de lui laisser le temps de reprendre pied. Sous la douche, elle pleurait encore et après un quart d’heure de cette eau bienveillante, son instinct de vie la transforma. Après avoir séché ses cheveux grâce à un brushing efficace, elle cacha ses yeux rougis avec un anti-cernes, et se maquilla discrètement avec une habilité qui lui était coutumière. Puis, elle s’habilla, prenant soin de mettre un tee-shirt à manches longues pour cacher ses poignets violets. Installée sur la terrasse, bizarrement, le soleil au zénith lui procura un bienfait malgré les rayons incendiaires. Le sommeil la terrassa et elle s’endormit très vite. Le bruit de la voiture et l’arrivée de Marc, Gabriel et Andréa lui procura un bonheur insoupçonné.
En souriant, elle embrassa Marc d’un baiser appuyé et prit Gabriel sur ses genoux. Celui-ci, peu coutumier de la tendresse maternelle, en mesura la rareté et le plaisir.
Marc, tranquille, comme à l’accoutumée, ne lui posa pas de questions et lui caressa la main et la joue avec délicatesse.
Les vacances se révéleraient douces, elle n’en doutait pas une seconde.
Véronique Kangyzer