Elle ne sait plus à quel âge, l’insouciance l’a quittée. Mais la petite brunette qu’elle était, ne comprend pas ce que les adultes veulent d’elle. Pourquoi ils ne s’occupent pas d’eux-mêmes ? Qu’ils la laissent tranquille, elle sait très bien ce qu’elle fait. A dix ans c’est une enfant heureuse, insouciante, elle aime jouer à la marelle à cloche pied en tirant la langue pour ne pas trébucher. Une barrette dorée retient la mèche qui cache ses yeux. Sa sœur en est jalouse, de cette barrette.
En cet après midi de juin il fait beau, très beau. Elle rentre de son cours de danse rythmique. Elle s’applique à marcher sur les dalles du trottoir, évitant ainsi tous les joints, c’est le défi du jour. Au début de l’année scolaire elle a demandé à sa mère, d’essayer autre chose que la danse classique en tutu blanc et chaussons à pointes. Très tôt elle a voulu se démarquer, trouver sa voie, prendre les chemins de traverse.
Reprenons son chemin, elle revient de la danse rythmique ou elle a pu danser, courir joyeusement dans un simple justaucorps de coton vert. Elle chantonne sous ce soleil de Juin. Que peut-il lui arriver ? Elle est si heureuse, elle monte quatre à quatre les deux étages et sonne à la porte. Sa sœur lui ouvre, en larmes et dans un cri lui annonce : « Grand-père est mort ».Stupéfaite, elle est sans voix, elle ne peut pas pleurer.
Dans le grand appartement la tristesse a envahi toutes les pièces, aucun babillement, aucun chuchotement. Ce soir il ne viendra pas, son cœur de chêne s’est brisé, quelque part en Espagne. Lui le grand père, solide comme un éléphant ne la prendra plus jamais sur ses genoux. La 2CV intrépide a perdu son chauffeur, son coffre restera pour toujours vide d’enfants. Plus de chanson taquine pour les endormir dans la grande maison sur la falaise. Elle se souvient pourtant si bien de sa grande silhouette en costume trois pièces, quand il l’attendait à son cours de danse. L’émotion se bouscule dans sa tête, peut elle continuer à rire, à sourire ? Elle n’a pas de mot pour le dire.
A la fin de la journée, ses parents viennent vers elle : « Tu es toujours d’accord, tu le veux vraiment ? Tu n’es pas obligée, nous le comprendrons.» D’une inclinaison muette sa tête confirme, elle ne reviendra pas sur sa décision. Le visage résigné, elle enlève sa barrette dorée.
Le poing dans la poche, serré sur la barrette, elle descend à la loge. Le concierge, également coiffeur, l’attend. Elle s’assoit bien sur le fauteuil, il noue une épaisse serviette blanche autour de sa nuque. D’un geste précis il manie la tondeuse, les mèches tombent une à une au pied du fauteuil.
Depuis ce jour elle porte la frange.
Françoise L.