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La cérémonie

par Diana W.

La cérémonie fut telle qu’il l’aurait souhaitée, bucolique, simple, fleurie et pourtant si cruelle par la lumière et beauté impitoyable de cette Nature qui pour l’honorer s’était faite étincelante. Il fut incinéré pour nourrir les futurs éclats de ce monde qu’il aimait tant, les nourrir à jamais, muter, renaître et mourir encore et encore et toujours. Sa mort, à cet instant, nous parût d’autant plus absurde qu’il disparut brutalement, sans avertissement, sans nous donner, à nous ses amis, le temps de voiler nos cœurs de noir, de ternir l’éclat de nos espoirs et de la confiance arrogante que nous ressentions à l’égard de notre avenir. Il nous mit brusquement le nez sur notre finalité, notre fragilité, sur notre volatilité et fit de nous en un instant, des êtres apeurés, des êtres sans repères n’ayant pas encore décidé si rire ou pleurer conviendrait le mieux à cette cérémonie. Notre petit groupe, notre famille ainsi que nous aimions à nous définir, se retrouva désorienté, en perte d’azimuths sous un soleil radieux d’où s’échappaient, non pas des rayons glorieux, mais une menace de brûlure. Aucun de nous n’avait envie de revenir sur ses pas et retourner vers sa maison, son quartier, sa vie antérieure ou même vers d’autres êtres aimés. Nous décidâmes de mettre nos pas et nos sentiments en accord et nous nous retrouvâmes à l’une des tables de son auberge favorite, au milieu de cette forêt qu’il savait si bien apprivoiser, parmi les essences innombrables qu’il considérait amies et les animaux dont il reconnaissait jusqu’aux souffles et bruissements. Combien, déjà par le silence et la solitude qu’il nous avait légués, nous nous sentions perdus et réunis à la fois; Pour conjurer une absence Pour éloigner la peur Pour tout simplement vivre, que fallait-t’il envisager, vers quelle rive inconnue aurions nous pu nous diriger ? Vers quelle bouée de sauvetage ? Certaines ethnies antiques lançaient, en se séparant de leurs morts, des insultes, des menaces, des mots lourds d’une douleur déguisée pour conjurer la peur paralysante et dévorante, la peur … nous n’en fûmes pas capables. D’un commun accord, nous nous sommes mis à chanter et réciter des vers, ceux qu’il aimait, ceux qu’il avait écrits, nous nous sommes retrouvés étonnés d’avoir si naturellement mémorisé l’essence même de sa personnalité : le verbe, l’écrit, cette mémoire vivante qui coule d’une veine d’encre et tâche parfois autant que le sang d’une hémorragie de vie.

Le sang purifie, vide et vous laisse exsangue, mais régénère et créée une réalité autre. La mort par hémorragie est douce, violemment douce, indolore et anesthésiante et c’est ce que nous étions tous, anesthésiés. Libations, larmes, rires et ce regard nouveau que nous portions tout à coup les uns sur les autres. A-t’il laissé des volontés ? Quel fut son dernier désir ? Qu’attend t’il de nous ? Au cours de cette journée, nous avons tout envisagé, pourvu que nous puissions rester unis, accrochés, aimantés aux derniers pans de sa vie. Nous savions qu’une fois dispersés, notre vie sans lui commencerait et de cela nous ne pouvions vouloir car inconcevable. Pourtant en chacun de nous, nous découvrions une parcelle de lui qui nous bouleversait. Ce petit moment hors du temps, hors de la vie, hors de sa vie, nous le vécues intensément. Son testament, son message, son merveilleux message était en chacun de nous. Une étincelle de son esprit, un battement de son coeur, le coin de son sourire, l’espoir reconstruit et multiplié. Sa mort avait fait de nous des êtres intensément vivants car il avait compris qu’avec son absence nous allions devoir trouver en nous sa force. Qui parle de séparation ? Qui imagine une désintégration ? Le rite anthropophage est aussi spirituel que charnel ! Nous le dévorâmes.

Diana W.

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Une dernière fois par Véronique Meneghini Après sa mort, nous appréhendions tous de nous retrouver dans cette jolie maison qui lui venait de son père. Nous, la bande, Sa bande, les copains de longue date, ceux avec qui il pouvait comme il disait « se lâcher ». C’est dans cette maison, dans nos bras, qu’il était mort d’une hémorragie foudroyante qui l’emporta en une demie heure. A chaque fois que date était prise, l’un de nous trouvait toujours une bonne raison de différer l’invitation. Bien sûr, j’en faisais partie tout comme les autres mais il fallut bien se résoudre à accepter. Il aurait été partant….pour le repas totémique ; ah, oui, je le voyais bien dire cela !

Et le week-end a démarré de façon atone, sans désir d’en être, sans plaisir, avec appréhension et douleur. Et puis, au milieu d’un repas, l’une de nous pouffe de rire et dit : « Vous vous rappelez comme il aimait nous piquer en nous disant des sottises ! Il m’a dit : « tu as des grosses fesses de juive, comme ma mère. ». Cette phrase, à chaque fois, me faisait bondir, d’une part parce-que j’ai des rondeurs qui me complexent quelque peu, et que sa mère et moi, cela faisait surgir de suite une incompatibilité de structure. Elle était antipathique, toujours en train de critiquer ; bref, je ne voulais aucun commerce avec elle ! Tout d’un coup, son rire frais , plein de ses mots à lui, le firent revivre, le temps d’un instant.

Comment parler de lui avec joie, alors que ce meilleur ami à qui j’avais tenu la main dans ce passage, m’avait laissé dans la colère puis le chagrin .Après ce traumatisme il me laissait orpheline de nos échanges, de ses excès et de sa générosité. Et me revint ce qu’il me disait toujours à un moment ou à un autre : « Véro, petite fille narcissique et rêveuse, une part de toi ne veux pas grandir ». Ça me mettait en colère systématiquement alors que désormais, résonnait autrement cette litanie. Pourquoi ces discours se retournaient-ils de cette façon, comme si sa mort avait changé le ton de l’anecdote. Ce qui paraissait un défaut me donnait de la fraîcheur à exploiter, de la culpabilité en moins. Bernard, au début, ne plaisanta pas. Il parla avec aigreur de cette phrase qu’il jugeait assassine : « Tu es capable du pire comme du meilleur ! ».Bien évidement, dit-il, je ne voyais que le pire ! Sa mort aidant, le meilleur surgissait et je me vois maintenant comme quelqu’un qui peut faire de grandes choses ! Sa mort agissait comme un pivot et de fil en aiguille, ce qu’il avait dit à chacun faisait un quart de tour .Le bi-face de ses expressions retournait la critique acerbe en plaisanterie joyeuse !

Ce qui m’interroge encore aujourd’hui, c’est comment ce cher disparu avait réussi à faire de la vie.

 

Tempête

par Sandrine L.

C’était pendant la grande tempête de 1990. Les arbres étaient tombés comme autant de quilles géantes tout autour de la ferme, et même sur la ferme. La magnifique forêt qui bordait la cour, cette forêt que nous aimions tant n’était plus qu’un vaste jeu de mikado, les troncs enchevêtrés les uns dans les autres ne laissaient place à aucun interstice, aucune possibilité de se laisser déplacer… De toute façon, il ne servait à rien de se creuser la tête, toutes les portes étaient bloquées, de même que les fenêtres. Il n’y avait plus d’électricité, plus de téléphone. Impossible de prévenir qui que ce soit.

Quand on occupe la dernière habitation du village, il faut bien s’attendre à être un peu isolé… Auguste pensait à ses vaches et se rongeait les sangs, Bernadette s’inquiétait pour les moutons, Rémi se demandait dans quel état il allait retrouver ses cochons et sa moto. Madeleine envisageait le pire pour le poulailler et ses occupantes, et se demandait comment elle allait nourrir toute la maisonnée, et pour combien de temps. Yvette consolait Jean-Baptiste terrorisé.

Mais ses mots ne parvenaient pas à calmer l’enfant, oscillant entre la peur de la situation et sa colère à voir les adultes impuissants. - Bah, on finira bien par nous retrouver, fit Auguste, philosophe.

Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il se passerait trois jours avant que les autres habitants se souviennent de notre existence, étant eux-mêmes engloutis sous des amoncellements divers, et quatre jours de déblaiement à la tronçonneuse pour se frayer un minuscule chemin jusqu’à nous.

- Allez viens, Jean-Baptiste, on va se raconter des histoires… - Des histoires de loups ? - Si tu veux, des histoires de loups. - Pass’quelà, tu vois, ch’uis sûr que des loups y en a plein, et y z’ont plus de maison, alors y vont venir, et moi j’aime pas les loups et…. - Chut, Jean-Baptiste, notre loup à nous, il n’est pas comme les autres… C’est un loup blond, comme toi. Et il a les yeux bleus, comme toi aussi. Alors tu vois, il ne faut pas avoir peur, c’est un très gentil loup. Et il est à la recherche de son petit copain, un petit garçon de ton âge avec qui il aime faire des galipettes dans le pré. C’est un loup qui ne mange pas les moutons, un loup qui aime les câlins et les gens. Il ne mange que des glaces au chocolat, des bonbons de guimauve et de l’omelette au fromage. Tu vois, il n’est pas dangereux.

Jean-Baptiste me regarde en écarquillant les yeux.

- C’est vrai ? - Les histoires, Jean-Baptiste, sont vraies si on décide de les croire. Et quand on ne les croit pas, elles sont toute tristes et deviennent fausses ; -Ben moi, je crois qu’elle est vraie, dit le gamin en se pelotonnant dans le fauteuil de sa grand –mère. - Alors ce loup, un jour, a vu que la maison de son petit copain avait été toute cassée par des troncs d’arbres, et il ne comprenait pas pourquoi la forêt était devenue folle. Mais surtout il était très inquiet pour le petit garçon, il avait vu que toutes les portes et les fenêtres étaient bloquées et qu’un gros arbre était tombé sur le toit. Il s’est dit, dans son gentil cœur de loup, que le petit garçon avait sûrement très peur et qu’il voulait sortir. Mais comment l’aider ?

Le loup est sorti de sa tanière, heureusement il a pu passer sous le tronc qui en barrait l’entrée. Et là il a vu que toute la forêt s’était écroulée et que ça allait être difficile d’aller jusque chez le petit garçon. Alors il s’est assis sur la mousse et il s’est gratté l’oreille pour réfléchir. Il a commencé à creuser sous un arbre pour faire un tunnel, c’était long, c’était difficile, ça faisait mal aux griffes. Il est tombé nez à nez avec un gros sanglier poilu bourru, qui creusait lui aussi un tunnel dans l’autre sens. - Qu’est-ce que tu fais là ? demande le sanglier poilu bourru. - Je creuse un tunnel pour aller chez mon ami qui a peur. - Je peux t’aider, si tu veux. Ça lui fera un ami de plus.

Le loup et le gros sanglier poilu bourru ont commencé à creuser ensemble. Ils ont rencontré un renard petit roux queue touffue. - Qu’est-ce que vous faites là ? - Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur. -Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.

Le loup, le sanglier et le renard petit roux queue touffue se sont mis à creuser ensemble. Ils ont rencontré un lapin grandes oreilles queue pompon. -Qu’est-ce que vous faites là ? - Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur. -Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.

Le loup, le sanglier, le renard et le lapin grandes oreilles queue pompon ont continué à creuser ensemble. Ils ont rencontré un écureuil oreilles pointues queue parasol. -Qu’est-ce que vous faites là ? -Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur. - Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.

Et l’écureuil oreilles pointues queue parasol s’est mis à ronger les branches qui gênaient dans le tunnel.

Le loup, le sanglier, le renard, le lapin et l’écureuil continuaient à travailler. Ils étaient sûrs, maintenant, que leur ami n’avait plus peur. Ils ont rencontré une souris oreilles rondes mains roses. - Qu’est-ce que vous faites là ? - Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui n’a plus peur. - Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.

Et elle aussi, c’est mise à grignoter toutes les petites branches qui gênaient à la construction du tunnel.

Le loup, le sanglier, le renard, le lapin, l’écureuil et la souris creusaient toujours. Ils ont rencontré une taupe manteau noir et gants puissants. -Qu’est-ce que vous faites là ? -Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui n’a plus peur. -Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.

Et la petite taupe noire s’est mise à déblayer la terre qui s’entassait dans le tunnel.

Ils travaillaient tous et parlait de leur ami le petit garçon quand ils ont rencontré une sauterelle longues pattes et antennes vertes et … -Elle est pas vraie, ton histoire ! s’est indigné Jean-Baptiste - Ah bon ? Comment ça, elle n’est pas vraie ? - Non, elle est pas vraie ! Les sauterelles, ça sort jamais l’hiver !

C’est un fait.

Tout le monde sait que les forêts du Cotentin sont infestées de loups blonds aux yeux bleus, voire d’ours géants dévoreurs de nuages, que tous les animaux s’y entraident pour sauver les petits garçons surtout s’ils ont cinq ans, mais c’est un fait : les sauterelles ne sortent pas l’hiver.

J’aurais dû le savoir….

Sandrine Labouthière

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