La femme rousse au jardin – Toulouse-Lautrec 1889
Critique imaginaire
On ne peut contester le fait que M. Toulouse-Lautrec, pourtant issu d’une des plus respectables familles de France, use à l’envi d’une manière de faire qui traverse avec constance toute son œuvre et qui a pour nom vulgarité. Vulgarité du regard, qui s’attache à figer sur la toile les travers les plus détestables de l’humanité, vulgarité du trait, qui ne se donne pas la peine de l’effort, vulgarité des tons, qui trahissent le mauvais goût de l’artiste, qu’on sait pourtant capable de mieux.
Pour autant, au cœur du flot nauséabond de sa production, on peut parfois trouver ici ou là quelques lueurs prometteuses qui incitent à l’indulgence et à l’encouragement.
Il m’a ainsi été donné de découvrir récemment chez un collectionneur manifestement avisé l’une de ses dernières acquisitions, dont le titre lui-même reste malheureusement une insulte au bon goût puisqu’elle est connue sous le nom de « La femme rousse au jardin ».
On doit reconnaître à son auteur d’avoir eu la présence d’esprit d’y inclure, au milieu d’une palette pauvre et sans relief, dominée par un vert d’eau du plus mauvais effet et par une silhouette massive négligemment brossée à grands coups de traits sombres, le visage de profil d’une femme au teint pâle et aux cheveux roux et dont le regard grave attire l’attention.
Ce qui retient surtout le spectateur, c’est l’oeil noir et scrutateur du personnage, veillant avec soin sur une présence extérieure au tableau, dont il semble guetter les faits et gestes. Bien que cette femme aux mains croisées présente l’apparence du plus grand désœuvrement, il est manifeste que son regard, dirigé en coin, trahit toute la tension qui semble tenir son esprit en éveil.
On s’aventurerait à imaginer l’objet de son inquiétude mais, qu’il s’agisse d’un jeune enfant à surveiller du coin de l’oeil ou de l’apparition du maître de maison dans son champ de vision, on ne peut que se réjouir de ce que les vertus à l’oeuvre dans l’attitude de cette mère attentive ou de cette épouse attentionnée, qui tranchent avec les plus bas instincts des modèles habituels de M. Toulouse-Lautrec, nous donnent enfin à voir ce que le genre humain a de meilleur.
Aussi nos exhortations à donner à sa carrière une nouvelle orientation, habitée de plus nobles sentiments, lui sont ici adressés avec toute la sincérité dont nous sommes capables.
Bruno W.