Passer de l’autre côté de la terre. Descendre les rues attirée vers la mer. Ecouter les gréements sur Fisherman’s Wharf et le chant des focs. Tenter d’oublier l’odeur âcre des otaries, échouées sur le terre-plein. Tenter d’apercevoir l’île-prison ; Al Capone, ses petites mains, son petit nez, son gros cul à Alcatraz. Tourner le dos à la mer pour voir Steve McQueen en col roulé noir, yeux bleus, décoller des rues bossues dans sa Subaru orange. Poursuivre les rues au carré comme dans toutes les villes nouvelles du 19e, nées de la ruée vers l’or. Caresser les bow-windows pour les offrir à Edward Hopper. Y placer une femme seule, vêtue d’une robe rouge simple avec un ourlet juste en-dessous du genou. Marcher le long des courbes de Lombard Street. Fouiller Nob Hill. Epier à travers une haie verdoyante les lumières d’une fête chez un producteur de cinéma. Imaginer son procès dans le futur. Le voir tomber, suivre son anéantissement, sa condamnation pour son goût immodéré pour des relations forcées avec des jeunes femmes sous emprise. Marcher dans l’odeur du jasmin. Ricaner devant Coït Tower, la prétention grandiloquente d’un architecte amoureux de la brique et du béton ? Et aussi de lui-même ? Manger une énorme part de pizza à un dollar sur la place où Macy voisine avec McDonalds. Etouffer dans le damier des rues. Manger des enchiladas dans un Taco Bell.
Chercher la mer et l’air, courir sur Bay Bridge, voler jusqu’à Sausalito et se retourner. Voir Down Town et revenir vers l’autre pont, Golden Gate le rouge, classique, inscrit dans l’éternité. S’attarder sur la couronne d’eucalyptus là-haut sur les hauteurs d’Oakland. Ces sommets feuillus et odorants que des promoteurs véreux mettront à feu et à sang pour y construire des villas cossues. Des hackeurs talentueux aux jeans troués viendront y enlever leurs Vans et poser leur planche de surf. Parce qu’il n’est pas loin l’océan, le vrai, l’immense Pacifique si calme, si gris. Avec panache, il absorbe toutes les secousses de la faille de San Andreas, caresse la corniche de la route 1, une de celles dont parle Kerouac, dont tout le monde a entendu parler mais que personne ne voit jamais.
En décapotable modeste, des yeux visibles derrières des lunettes un peu sombres, suivre les méandres de ses pensées et revenir vers toi, parce que si tu t’embrumes, je chercherai une maison bleue accrochée à tes collines et je vivrai là, le reste de mes jours.
Valérie W.