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Aurore aime la nuit par-dessus tout, c’est son domaine. Toute petite déjà elle aimait courir pieds nus dans l’herbe à la pleine lune. C’est héréditaire. Aurore descend d’une longue lignée de sorcières. A sept ans sa grand-mère lui a dévoilé leur secret et lui a enseigné comment en faire usage à bon escient. Un savoir bien spécifique à leur famille se transmet de génération en génération: elles sont berceuses d’âmes. Et oui ! Les sorcières ont chacune leur spécialité. Dans la famille d’Aurore il s’agit de bercer aussi bien les nouveaux nés propulsés un peu trop vite sur terre que les morts disparus brutalement. Ce travail est indispensable à l’humanité. Les âmes reposent en paix ainsi. 


La mère d’Aurore a rejeté tout cela. A ces balivernes, elle a préféré les études. Elle est à la fois docteur en philosophie et psychanalyste. Aurore elle, adorait sa grand-mère. Comme enseignement elle préférait la nature et les plantes. Mais au vingt et unième siècle la profession de Sorcière n’est pas très lucrative et encore moins reconnue. Alors pour gagner sa vie Aurore travaille la nuit dans une petite maternité de campagne. Elle est aide-soignante en salle de naissance. Ce métier lui va bien, elle aime autant les nuits de pleine lune où les accouchements se succèdent les uns après les autres dans un joyeux désordre que la pénombre des nuits de veille où les naissances se font rares et précieuses. Discrètement elle peut ainsi exercer son don. Quand un bébé, accouché au forceps ou expulsé en boulet de canon naît, il crie beaucoup. Il ne peut plus s’arrêter, tellement sa colère est grande. Les parents sont complètement désemparés. Aurore intervient avec précautions. Elle prend le nouveau-né dans ses bras et le berce, tout en lui murmurant une formule magique connue d’elle seule, à chaque fois différente. Le bébé se calme, s’abandonne apaisé dans les bras d’Aurore. Elle peut en toute tranquillité le reposer sur le ventre de sa mère.


Certaines nuits un bébé naît coiffé, un fragment de la poche amniotique recouvre sa tête ou son épaule. Aurore comprend le signe. La nuit suivante elle s’installe dans le grand fauteuil hérité de son grand-père. Auparavant elle ferme les volets, éteint les lumières et allume une simple bougie. Le rocking chair se balance doucement, le rêve commence. Aurore est attendue, elle doit œuvrer, un défunt l’appelle.

Il y eut une nuit d’été qu’Aurore n’a pas oublié. Le ciel était tout étoilé, pas un nuage. La voie lactée se dessinait dans son entier. A minuit une étoile filante, particulièrement brillante traversa la voute céleste en un éclair. A la maternité Ombeline naissait dans l’émerveillement, en deux poussées. De ses yeux calmes elle contemplait ce monde nouveau. Ombeline avait la peau douce. Elle était toute enveloppée d’un cocon fait d’un voile transparent, bleuté, l’amnios. Aurore s’est doutée que la nuit prochaine serait intense.

Le lendemain à minuit Aurore s’est nichée dans sa couverture mauve au creux du rocking chair. La bougie éclaire la pièce d’une douce lumière mordorée. Le rêve l’a happée brutalement, en eau profonde. Elle plonge mais ne voit rien. Au bout de quelques minutes un corps inanimé apparaît. C’est une femme. En s’approchant Aurore fut submergée par une vague de fureur et de tristesse. Cette femme ne lui est pas inconnue. C’est Nine, sa cousine. Son corps est lourd. Alors Aurore la prend doucement, pose sa tête sur son épaule et commence à la bercer dans ses bras. Aurore se souvient, enfants elles jouaient ensemble chez leur grand-mère. Elles aimaient se cacher dans la grande penderie, Aurore sortait une roue magique d’où jaillissait des étincelles multicolores dans le noir. Nine avait un peu peur mais Aurore aimait beaucoup ce jeu. Telles des bulles de savon, les souvenirs virevoltent autour d’elles. La vie de Nine défile devant les yeux d’Aurore. Le corps de Nine se fait léger, l’eau est plus claire. Toutes les deux dansent, une lueur diffuse les enveloppe. Imperceptiblement Nine se détache d’Aurore et disparaît dans la lumière. Une grande quiétude envahit Aurore, Nine repose maintenant.

Quelques heures plus tard le soleil pointe à l’horizon, lorsqu’Aurore se réveille. Elle se lève, allume la cafetière avant de prendre une longue douche tiède. Enveloppée dans son peignoir, la tasse de café tout chaud entre ses mains Aurore s’approche de la fenêtre, scrute le ciel et fredonne : Ce matin, la journée promet d’être belle.

Françoise L.

Tag(s) : #Françoise L., #Textes de l'atelier, #Atelier en ligne, #La Passagère
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