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Je porte un nom de fleur. Une fleur un peu sauvage mais qui convoque la tendresse. Marguerite. Sa trentaine de pétales contient la fièvre des amoureux qui l’effeuillent. Son cœur d’or finalement dénudé caresse alors les joues rosies par l’émotion ou les paupières closes des yeux de chagrin.

Vêtue de cette armure jolie, j’ai traversé les décennies aux bras des joies et des chagrins, des découvertes et des souvenirs…

Depuis que les cheveux blancs me font couronne, mes journées ne sont plus battues par l’urgence ni la rapidité. La lenteur est ma douce compagne. Les matinées s’écoulent tranquillement autour d’un soupçon de ménage, d’emplettes nourricières. La musique résonne pour accompagner ma mise en forme. Quelques sambas brésiliennes éveillent bien le corps. Le rap aussi ! Les après-midis débutent par une leçon. Lundi espagnol, mardi piano, mercredi anglais…vendredi les trois profs et moi inventons notre tour de Babel. Pas un mot de français. Le rire n’a pas besoin de traduction ! Le jeudi ? Ah le jeudi ! Mon après-midi d’ailleurs… mes voyages immobiles, mes villégiatures improbables, mes grimpettes et mes glissades, mes rencontres invisibles…

Mon vieux fauteuil me tend ses bras dodus pour soutenir mes départs. Je ferme les yeux et guette derrière mes paupières le surgissement du jour. J’embarque alors sans peur pour un périple inattendu. Je traverse parfois les siècles. J’ai ainsi enjambé les Alpes aux côtés d’Hannibal à dos d’éléphant. Le fumet de ces énormes bêtes est assez fort pour masquer celui des hommes ! Hannibal… personnage étonnant ! Il m’a dévoilé quelques bribes de stratégie militaire appuyée sur des ruses. Quel appétit de conquête nourri de la haine de Rome. Ereintant ! Heureusement, partager le lait de la louve avec Romulus et Rémus a apaisé mon tumulte. Raymond Devos m’a capturée, heureuse prisonnière de ce voyage savant en absurdie. Un moment avec Hannibal Lecter m’a appris la terreur, celle qui paralyse. Et pourtant quel charme ! Très troublant. Avec les deux Marguerite, Duras et Yourcenar, les montagnes russes de la littérature m’ont chavirée, bouleversée, énivrée. La galanterie impalpable d’Antony Hopkins assortie de son langage recherché de majordome ont cajolé une délicate nostalgie. Mimoun m’a essoufflée. Tant d’autres m’ont chahutée, étonnée, énervée parfois. Newton m’a offert une pomme. Et j’ai croqué la pomme ! L’attraction n’est pas toujours terrestre ! Avec Ludwig j’ai écouté la lune. Wolfgang a émerveillé ma nuit. Verdi a illuminé ma liberté.

Puis, il a fallu me rendre à l’évidence. Ces déplacements du jeudi m’épuisaient. Alors que je cherchais comment remplacer ces voyages, un matin au réveil, un mot a colonisé ma première pensée. Un mot venu de je ne sais où…guilleret ! Guilleret ! Aussitôt suivi d’un sourire radieux, ce guilleret m’a quasiment jeté hors du lit emplie d’une joie sans réel motif. Que j’étais bien dans ce mot… il a accompagné ma journée s’enrichissant au passage de voisins, de danses aussi. Depuis ce jour, chaque réveil me livre un nouveau mot. Chacun charrie dans son sillage un parfum, une odeur, un paysage, une musique, un visage.

Dans algarade, j’ai entendu Cyrano et les cadets de Gascogne. Ça roule sous la langue, ça défouraille avec panache.

Galéjade. Entendez-vous Fernandel et Raimu sous ce mot parfumé d’anis ? N’avez-vous pas le cœur fendu par le quatrième tiers ?

Sérendipité. Trouver ce que l’on ne cherchait pas. Une friandise de la vie qui nourrit d’optimisme.

Délice. Capoue ou éclair au chocolat. Les choix infinis enfouis sous ce mot enfantent une journée de ravissement.

Et. Oui ce minuscule et. Aucun mot n’est dérisoire. L’infime espace qu’il occupe est souvent essentiel et décisif. Il unit, relie, ajoute, rapproche, emboîte, marie…

Aucune solitude ne nous saisit à l’abri de nos mots. Ils sont là. Toujours. Devant nous. Autour de nous. En nous. Ces trésors palpitants dont nous pouvons abuser en actes, en paroles et en pensées. A toute heure. Pour rire ou pleurer, dire ou taire, désirer ou refuser, imaginer ou vérifier… Aimons-les donc comme ils nous aiment, sans retenue !

Dominique Olsenn 

 

Tag(s) : #Dominique Olsenn, #Les immortels, #Textes de participants
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