Ne me dis pas le contraire ! Emprise...
"— Bonjour ma belle ! Non, tu ne me réveilles pas.
Non. Je t'ai vue arriver dans ta petite robe démodée, tu sais !
Je t’ai vue arriver, je te dis, et puis le chien a aboyé.
Ne te fie pas à mon air dogue, j'ai toujours cette tête-là, moi ; quand je me réveille en sursaut...
Et s'te plaît, s'te plaît, s'te plaît... arrête de me fixer ainsi !
Tu aurais tôt fait de me dessiner laide et chiffonnée. Je te connais!
Je me sens toute moite et le cheveu collé sur le crâne... Il fait chaud, non ?
Tu es gentille.
Non, tu ne m'as pas réveillée, je te le répète ; puisque je t'ai vue, toi, sous ta frange démodée, là ; qui hésitait à la barrière, - j'ouvre, je n’ouvre pas - et ça, même avant qu'il aboie, ce clebs... Il ne t'a vue qu'au dernier moment.
Il dormait, lui aussi, dans son panier.
C'est l'heure de la sieste, en même temps...
...
Il me fatigue : il aboie pour tout et pour n'importe quoi !
Heureusement que je l'adore !
Regarde-le sauter contre la barrière pour te faire la fête !
Que c'est mon toutou d'amour !
Pousse fort sur la barrière, veux-tu Marie ; elle frotte un peu.
Pousse ! Mais pousse donc !
Mais ma parole, tu as de la guimauve à la place des bras ? Mais pousse !
Voilà !
Et referme-la bien derrière toi ; Doggy se perdrait s'il sortait tout seul sur la route.
Oh, j'y pense ! Tout de suite, j'ai dit « que Doggy aboyait pour tout et n'importe quoi »
C'est juste une expression, tu sais.
Ne le prends pas pour toi, je te prie !
Vois-tu, s'il y a bien une chose qui peut me faire mal au cœur ; c'est de te heurter en quoi que ce soit.
Tu n'es pas venue jusqu'à chez moi pour te faire agresser, ou humilier, j'imagine !
Et puis, je sais que ce que tu as vécu encore dernièrement, te met les nerfs à vif...
Mais si mais si ! Les nerfs à vif !
Ne me dis pas le contraire, j'aurais l'impression que tu veux me cacher quelque chose !
Moi qui sait tout de toi, Chérie.
Et ce n'est pas que je ne le supporterais pas – car venant de toi, tu le sais bien, rien ne m'insupporte vraiment -, mais, j'en aurais le cœur bien triste...
Ce n'est pas n'importe quoi, ce qui t'est arrivé, tout de même...
Et en la matière, le « n'importe quoi » de tout à l'heure s'applique, non ?
...
Voilà ! Tu poses juste un pied sur ma terrasse et ton museau se contracte déjà.
Ton menton, là, je le vois qui tremblote. Sérieux!
Mais qu'est-ce que j'ai dit, encore ?
Tu m'agaces, à la fin !
...
Mais où vas-tu ? Tu arrives et puis tu repars ?
C'est un peu fort de café...
Reviens !
...
Ah! Tout de même !
Approche !
Mais aussi, tu es bien susceptible, je trouve... excuse-moi d'avoir à te le dire !
Je n'ai rien dit de méchant à la base, j'ai juste mentionné qu'il aboyait pour « tout » et pour « n'importe quoi », le chien...
Le Doggy ! Le toutou, le petit toutou à sa maman...
N'est-ce pas qu'il est trop chou !
Je l'ai mis sur Insta, tu sais ; il fait un malheur avec sa petite gueule prognathe et sa dent qui sort et puis son œil tout rond et coquin sous la frange.
Regarde cette vidéo !
Celle-là, regarde ! Où Doggy-chou rate la marche d’escalier... Elle a été likée plus de huit cents fois. Il est trop, non ?
Mes abonnés réclament des vidéos sur lui plus que sur moi, parfois... Bon, j'exagère un peu... tu me connais et comme j'ai tendance à être très modeste, ça explique...
...
Pour en revenir à tout à l'heure, au lieu de prendre pour toi le « n'importe quoi », tu aurais pu te centrer sur le « tout » du toutou...
Je plaisante ! C'est vrai que toi et la plaisanterie, ça fait deux, Chérie !
Mais encore une fois, je remarque que tu as tendance, -ne me dis pas le contraire- à toujours voir le mauvais côté des choses ; à ne choisir, par exemple dans cette phrase anodine entre toutes, que ce qui va te conforter dans l'image négative que tu as de toi.
Le bonheur de vivre, ça se fabrique ! Regarde, moi !
On en passe du temps à se trouver à la traverse et à bifurquer juste quand il le faut.
Un coup à gauche, et après un coup d’œil dans le rétro, un coup à droite. Il ne faut pas se tromper !
Et toi, à chaque embranchement, à chaque croisée du chemin, tu m'entends ; toi, tu tergiverses, tu hésites et puis pour finir !
Paf ! Tu fais le mauvais choix.
C'est n'importe quoi !
Ne me dis pas le contraire ! À chaque fois, c'est ce que tu as fait !
Regarde : Pour ta mère... oui ; pour Frédéric... aussi ; pour ta carrière... n'est-ce-pas... je ne te le fais pas dire !
Tu avais un tapis rouge déroulé devant toi...
Tous nos professeurs des Beaux-arts, tu entends, tous, ils te portaient aux nues...
Ils étaient tous à dire que tu étais le nouveau Picasso-sans-les-cubes, ceci... le nouveau Chagall-sans-la-couleur-et-les-fiancées-qui-volent, cela... et encore le nouveau klimt-sans-son-or...
Que ton crayonné, il était juste sublime... que le jour où tu passerais enfin à la couleur...tu ferais un malheur.
C'est ton malheur que tu as fait, oui !
Á tort ou à raison, ils avaient l'air sincères, ces gens-là...
Que même parfois, tous ces compliments qu'on t’adressait à toi, ça me mettait la haine, à moi... Mais bon.
...
Et dernièrement pour l'enfant... n'est-ce-pas que j'ai raison, hein ?
Avec toutes les conséquences catastrophiques qui en ont découlé...
Évidemment !
Je t'avais pourtant prévenue...
C'est lassant, en fait, à la fin ; ne crois-tu pas ?
Ah ! Il faut qu'on t'aime pour te supporter, toi !
Et puis, cette tête de déterrée que tu fais, c'est rengaine, à force !
Le malheur, tu sais ; il sourd de toi comme une mauvaise sueur ! Et il se voit.
Oh, comme ça se voit, ma pauvre fille, que tu es malheureuse !
C'en est presque indécent !
Un peu de pudeur, parfois, ne fait pas de mal ; excuse-moi d'avoir à te le répéter et considère que c'est l'amie, ici, qui te parle...
...
Bon. Je parle, je parle...
Je t'offre quelque chose à boire, ma chérie ?
Ça me fait vraiment plaisir, de te voir.
Qu'est-ce que tu me racontes de beau ? "
Marie-Alexandrine