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Odeurs

Ma petite fille toute joyeuse me tend un bouquet de primevères. Je respire leur délicate odeur d’anis et  me souviens de cette habituelle cueillette printanière accompagnée de tante Louise à son âge. Le parfum de ces fleurs de haies m’indiquait le changement de saison. 

Il doit le reconnaître, le lait, désormais acheté pasteurisé dans des bricks en carton, dégage une odeur fade, pourtant elle lui demeure écœurante. Ce dégoût remonte à son enfance. Quand le  commis lui mettait sous le nez un seau en fer blanc rempli de lait encore chaud et crémeux, cela lui provoquait déjà d’irrépressibles hauts de cœur. 

Le soleil d’été darde sur le varech. L’odeur de cette algue séchée nargue mes narines de relents de poisson mort, ravivant ma peur de petite fille à m’aventurer pour une pêche à pied. Plus loin, sans ces résidus de mer, l’iode des embruns me transporte vers ma première baignade où je cherchais à renifler l’odeur du sel. 

Je dévisse le bouchon de mon nouveau bâton de colle et les effluves d’odeur d’amande, comme  celles de mon petit pot de colle blanche d’autrefois, muni de sa spatule en plastique rouge,  embaument mon bureau. Je ferme les yeux et hume avec nostalgie cette subtile senteur d’école. 

Le lisier épandu dans les champs d’alentours exhale une odeur, admise par tous, nauséabonde. Je renifle cette puanteur qui m’entraîne dans l’étable à vache de ma ferme natale en plein hiver , éclairée d’une loupiote. La chaleur des bêtes, l’exhalaison du foin, la faible lueur imprègnent l’atmosphère où je rejoins ma mère encore à la traite ; 

Le petit pochon en tissu rempli de grains de lavande, collé sur son nez, ne fleure pas la garrigue ni ne  produit une vertu d’apaisement.  Il lui rappelle seulement le rouleau de papier toilette violet empestant d’un air tenace les water-closet. Pour la maîtresse de maison, ce petit-coin propre embaumant la Provence, pensait-elle, vous laissait en vacances le temps de vos besoins.

Le fumet du gigot tournant sur le tournebroche en ce dimanche de Pâques, lui remet en mémoire l’agitation des rôtisseurs de la foire, dans les émanations du charbon de bois et des viandes grillées qu’il aimait déguster sur une miche de pain sentant le froment. 

Le fameux gâteau, venté par une campagne de publicité pour le goûter des enfants, ne remplacera jamais le quatre heure de mon enfance, constitué d’une tartine de beurre avec deux carrés de chocolat noir, même si l’odeur acide du beurre ranci renseignait sur la mauvaise humeur de ma mère. 

En glissant le bâton de son gloss parfumé à la pomme sur ses lèvres, la jeune femme se pare d’une  bouche pulpeuse sentant bon.  Rien de ressemblant avec les lèvres serrées, rouge carmin, de sa grand-tante à l’haleine fétide, qui l’embrassait de force. Il fallait dire bonjour.  Pour se libérer de cette épreuve puante, elle fuyait vers la fenêtre ouverte se gorger d’une grande bouffée d’air pur fleurant l’herbe du jardin.  


Touchée 

Pieds nus, le sol du cabanon en ciment râpeux ralentit mes pas vers la porte grande ouverte. La pièce est encombrée d’objets de pêche et de chaises en désordre. En les contournant, je cogne mon petit orteil sur le pied en fer forgé de la table basse. En un éclair l’onde de choc irradie tout mon être et mon juron éclate comme un coup de tonnerre. Un afflux de sang accélère les battements de mon cœur, mes jambes flageolent. Je m’assois lourdement et plaque une main sur ma poitrine pour contenir mes vives palpitations. La sueur mouille mon petit-haut en soie qui colle à ma peau. L’ autre main attrape instinctivement mon pied endolori; Je remue le petit doigt écorché, le masse, il n’est pas cassé. Vexée de ma maladresse, ce choc anodin d’une douleur aiguë provoque des émotions confuses entre rire et rage. Je choisis plutôt de me moquer de moi. Je reprends mon souffle et ma marche vers la plage sans boiter.
Le soleil d’été darde sur une bande de varech. L’odeur de ces algues séchées que je dois franchir, nargue mes narines de relents de poisson mort, ravivant ma peur de petite fille à m’aventurer pour une pêche à pied. Je vais plus loin, là, où, sans ces résidus de mer, l’iode de l’océan me rappelle  l’excitation de ma première baignade où je cherchais à renifler l’odeur du sel. 
Dans l’échancrure de deux dunes tapissées d’herbus piquants, éblouie par la lumière criante du début d’après-midi et sans un poil d’air je m’installe devant la mer brillante et tranquille. J’étale ma serviette en éponge usagée, tâte la douceur de sa vieillesse et m’allonge. Quelle bonne détente! 
Les vibrations de la chaleur flottent sur moi et je me laisse gagner par la torpeur. A moitié endormie, mes doigts  palpent machinalement le sable fin et, le tripotent lentement d’un geste répétitif. Puis mes mains se transforment en gargouilles, déversant la pluie des minuscules cristaux sur mes cuisses désormais relaxées. Leurs légères chatouilles m’amusent. La chaleur finit par m’accabler. Je n’ai pas envie de bouger mon corps alangui pour saisir ma thermos et avaler une gorgée d’eau qui me désaltérerait. Je n’en ai pas la force. L’étuve piège ma volonté d’entamer tout mouvement. 
Je revois ce jour de canicule, en vacances avec trois de mes cousins, chez nos grands-parents. Engourdie, je suis allongée sur la pelouse à l’ombre du marronnier les yeux fermés,. Depuis le matin, la puissance du soleil et la touffeur nous ôtent toute énergie, le temps est à l’ennui. Même les oiseaux  du jardin semblent s’être repliés, le silence est de plomb égal à la fournaise. Tout d’un coup une douche froide me relève d’un bond. Mon corps bouillant réagit en frissons galopants, tous mes poils hérissés. Hilare, mon grand père content de sa ruse, agite le tuyau jaune d’arrosage sur moi. Il m’asperge malgré mes gesticulations et mes cris qui attirent mes cousins. Une bataille d’eau est lancée dans une joyeuse bousculade. On se heurte, on se pousse, on se fait des croches-pieds, on fait mine de se sauver pour mieux revenir sous le jet éclaboussant. Tee-shirt et short dégoulinant sur nos corps pubères, nous sommes trempés jusqu’aux os, mais joyeux de notre  revigorante rigolade. Le visage de notre grand-père est radieux; Je me demande si aujourd’hui, les tuyaux d’arrosage traînent encore dans les jardins avec les restrictions d’eau décrétées pour protéger la planète? 
Ragaillardie par ce souvenir, je vais me baigner. Je m’enfonce avec plaisir dans l’eau tiède, nage deux brasses puis me contorsionne pour faire la planche. Bercée par le remous des vagues qui m’enlacent, j’offre mon visage aux lueurs orangées du soleil. 
Avant de rentrer, j’écoute le clapotis me tenir compagnie. 


FRANCINE 
Atelier octobre 2023

 


 

Tag(s) : #Réminiscences, #texte des participants, #Francine H.
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