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Dans le vieil atelier adossé à la maison, il avait eu l’étrange idée d’installer un autel des souvenirs. Sur un socle en chêne doré, entouré de branches tressées, il allait disposer et sauvegarder ses souvenirs.

Car les souvenirs ça s’estompe, ça devient gris, et lui, il voulait les garder avec toutes leurs couleurs, leurs nuances, les graver dans sa mémoire à jamais. Préserver les visages et les silhouettes de ses parents, de sa sœur, de ceux qui étaient partis, des amis éloignés, car avec les années on voyage moins et les sourires lointains se délavent. Imaginer des souvenirs d’inconnus qu’il aurait aimé connaître et qu’il ne rencontrerait jamais. Éviter que les images ne se dérobent, deviennent blafardes et incolores, car un souvenir ça ne meurt pas tant qu’il y a des couleurs.

À chacun, il avait attribué des teintes et des nuances, des bougies et des parfums. Il lui avait fallu du temps pour organiser ce qu’il avait vécu. Qui installer au milieu de l’autel ? La place de choix, qui l’occuperait ? Bien sûr, ceux qu’il avait aimés plus que tout, pouvaient prétendre au centre et méritaient les couleurs les plus étincelantes. Mais que faire des autres, avec lesquels les relations avaient été plus difficiles, et qui s’associaient davantage avec des tons plus ternes ?

Il hésitait, cela ne lui convenait pas. Alors, il décida d’agencer son autel en suivant le rythme des saisons. Il n’y aurait pas de centre, mais quatre périodes : printemps, été, automne, hiver, avec des couleurs différentes.

Au printemps seraient placés les souvenirs les plus doux. Protégés des rayons les plus ardents, ils absorberaient les premières chaleurs, humeraient les odeurs sucrées de mai, percevraient les jaunes, les verts et les premiers ciels bleus.

Les souvenirs les plus ardents seraient installés en été. Inondés de lumière, ils jouiraient des couleurs les plus éclatantes, les plus chatoyantes. Certes, elles s’adouciraient au fil des longues soirées, mais renaîtraient chaque matin avec la même intensité. Les rouges des rosiers raviveraient les passions enfouies, les violets des iris, les douces soirées et les gestes de tendresse.

En automne, les souvenirs qui s’estompaient. Ils verraient les jours raccourcir, mais seraient comblés par les teintes automnales, le jaune d’or des branches d’érables champêtres déposées devant eux, les feuilles pourpres des chênes d’Amérique agencées en bouquets séchés.

Les souvenirs les plus douloureux seraient déposés en hiver. Le froid soulagerait les souffrances et calmerait les regrets. L’apaisement naîtrait du silence de la neige profonde, d’une blancheur immaculée.

Il aimait bien ainsi, son autel des quatre saisons. Et puis, il pourrait toujours changer les souvenirs de place, les faire passer de l’hiver à l’été, du printemps à l’automne, du gris sombre au bleu azur, du vert intense au jaune paille, de l’indigo au violet de l’arc-en-ciel.

Camille Autoire

Illustration, les quatre saisons de Nicolas Poussin

Tag(s) : #Camille Autoire, #Textes des participants
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