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Ma petite chambre est bien froide ce matin, plus que d’habitude. J’entends le bruit des vagues, le cri des mouettes. Le vent souffle fort, son sifflement insistant traverse le bâtiment d’une seule traite. Je serre les dents et remonte ma couverture. Matin d’hiver, matin glacial, matin sans grand entrain. J’ai faim.

Ma chambre, je l’aime. J’y vis depuis des années, je ne sais plus combien au juste, je n’en sors jamais. J’aime son style ancien, ses murs en pierres apparentes, sa jolie fenêtre et le sol en tomettes en terre cuite. Ici tout est un peu exigu, certes, mais je m’y plais. Les bruits et les odeurs sont toujours les mêmes, ça me rassure. Il y a d’autres gens à mon étage, mais je ne connais pas vraiment mes voisins de pallier, je les entends parfois mais l’isolation phonique du bâtiment est excellente, il faut le dire... 

Le service d’étage ne va pas tarder à me délivrer mon petit déjeuner, c’est comme cela tous les matins vers 8 heures. Je commence à préparer ma table, j’ai faim. Le froid m’a gelé les mains et les pieds, j’ai hâte de boire un café bien chaud. 

J’entends l’ouverture de courtoisie s’ouvrir, le garçon d’étage dépose mon plateau. D’habitude, tout se fait en 10 secondes, sans un mot. Mais aujourd’hui, il n’a pas l’air de vouloir partir et de poursuivre ses occupations. Il fit même une entorse au règlement et j’entendis sa voix : 

- Salut Jean-Paul, dis-moi, je vais pas y aller par quatre chemins ; il te reste trois jours avant ton exécution. On est aujourd’hui dimanche, tu seras fusillé mercredi soir. Tu as droit à un dernier souhait, une dernière demande alors réfléchis bien. Je te conseille de te lâcher si tu vois ce que je veux dire... Tu me donnes ta réponse à 14 heures ok ?

- Bon, heu, oui, ben là tu me prends un peu de court, mais d’accord hein je vais y réfléchir 

- à tout à l’heure Jean-Paul

- à tout à l’heure garçon
Trois, jours, ben dis donc, ça fait court ! Je me demande bien ce que je vais pouvoir trouver ; de quoi pourrais-je avoir envie ?

14 heures, le garçon d’étage repasse et me demande si j’ai pris ma décision. 

- Yep, j’ai trouvé ! On est le 30 décembre, je veux organiser une fête pour la nouvelle année le 31 au soir, avec tous mes voisins d’étage. 

- Jean-Paul t’es barré ou quoi ?

- Du tout ! Débrouille-toi pour privatiser l’étage, tu fais ce que tu veux, comme tu veux, je te donne 300 pièces, toute la fortune qui me reste. Tu y mets les formes s’il te plaît...

- Ok d’accord avec 300 pièces ça change la donne, je vais voir ce que je peux faire...

- Merci, et si possible j’aimerais des chants, de la musique et beaucoup à manger

- Il va falloir que je marge un peu quand même hein !

- Oui je veux bien mais cette soirée doit marquer nos esprits, elle doit être ce que j’aurai été sur terre, un torrent de sagesse, de bonté et de bonheur.  Elle doit refléter qui je suis. Je veux donner de la joie aux autres, une dernière fois. Je veux voir, toucher et gâter mes voisins de palier. Tu te rends compte, ça fait des années que je vis ici et je ne les ai jamais vus ! C’est enfin l’occasion de faire la connaissance de tous ces pauvres bougres (comme moi d’ailleurs) qui finiront le dos au mur (tout comme moi également)... Tout cela devrait nous relier les uns aux autres, nous amarrer.

- ça c’est vrai il y a des chances, Jean-Paul !

Le soir venu, comme convenu, ma porte s’ouvrit, de même que celles de mes compagnons d’infortune. Nous nous sommes rencontrés, enfin. Nous avons parlé, souri, chanté... J’ai eu droit à tout un tas de compliments et de remerciements : 

- C’est sympa de se voir, dis-moi !
- Comme c’est gentil à toi de nous payer un coup !

Ça n’arrêtait pas...

- C’est vraiment cool de nous inviter, t’aurais dû avoir cette idée avant !

Ouais, c’est vrai, mais bon, en même temps, me dis-je tout bas...

- Ouiii ! dis-je tout haut, je suis tellement heureux, profitons de cette belle soirée de nouvel an, ensemble ! Célébrons cette nouvelle année pleine de promesses et de bonheur ! Allons-y mes amis, festoyons, rigolons, dansons, crions, valsons, trébuchons, mangeons, buvons, vomissons ensemble, que cette soirée fasse de nous tout ce que nous avons toujours rêvé d’être, qu’elle nous apporte à tous ce que nous avons toujours désiré !

- Tu as raison Jean-Paul ! 

- N’est-ce pas mes amis, bonne et heureuse année, à vous et à moi, hein, une communion... Avant mon exécution...

Tag(s) : #Textes des participants, #Christophe L.
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