Le ticket de métro n’est plus ce qu’il était.
Qu’est-il est devenu ? un insipide rectangle allongé, blanc beigeasse, sans couleur précise, avec une bande magnétique marron sur une face, et sur l’autre un ensemble de logos et de bouts de textes, série d’écritures cabalistiques sur lesquelles personne ne se penche jamais tant elles ressemblent à des gribouillis, au tohu-bohu des objets d’un sac à main bourré n’importe comment, à l’improviste, de mille objets hétéroclites.
Mais sur cette face est quand même marqué en gros Ticket avec un grand et gros t à côté, c’est lui le ticket, des fois qu’on en douterait.
Et cerclé d’un épais cartouche noir SNCF, pour qu’on ne le distingue pas ; et également RATP, avec des lettres tellement effilées qu’elles sont quasi invisibles. Ils se cachent, sont-ils honteux de leur ticket ?
Le ticket de métro, tel qu’il vient d’être décrit, est bien tel qu’il ressemble à notre société d’accumulation, de perte de sens et de mépris de l’esthétique. Il ressemble à ce que sont devenues les banlieues, déstructurées, construites sans art et disgracieusement, au lieu des petits bourgs charmants d’Ile de France d’autrefois.
Mais le ticket de métro n’a pas toujours été ainsi un objet sans style et sans âme.
Il y a bien longtemps, il y avait le ticket à trous, celui que trouait le poinçonneur, celui que re-trouait le contrôleur de la RATP qui trônait en haut des escaliers d’un air réprobateur, celui que chante Serge Gainsbourg dans Le poinçonneur des Lilas : des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous, des trous de seconde classe, des trous d’première classe … En outre, à cette époque, le ticket était vivant, rugueux, il avait une odeur caractéristique de papier non traité et portait des couleurs différentes, justement pour la première ou la deuxième classe, ou pour les familles nombreuses.
Le ticket s’échangeait ainsi plusieurs fois, on le tendait au contrôleur, qui le regardait et vous le redonnait et ainsi de suite avec tous les contrôles sur son chemin, et dire s’il y en avait – c’était le furet, le signe de ralliement, le point commun de l’armée des voyageurs et de celle des agents de la RATP, c’était plus qu’un ticket, un passe-partout, une série d’actes et de rencontres, de paroles échangées, de regards soupçonneux ou amicaux, de rites immuables.
Puis il n’y eut plus de poinçons et de poinçonneurs et le ticket RATP devint triste et connut une phase anonyme qui dura longtemps.
Mais un jour il fut ranimé par une lubie de la RATP qui en fit le Ticket chic et choc. Et alors, par le miracle peut-on dire de quatre mots, d’une formule, le ticket devint à la mode, l’objet de toutes sortes de plaisanteries, de jeux de mots des usagers, de publicités créatives et burlesques, de propositions d’objets commerciaux « chic et choc ». Il envahit la ville avec son humour déjanté.
Le ticket de métro avait à nouveau du style, il quitta son simple statut de bout de carton et redevint le signe distinctif de la communauté des usagers du métro, leur clin d’œil complice, leur humour discret et sans limite, leur gaieté dans le métro et aussi hors du métro. Car le ticket avait ainsi franchi le périmètre fermé des quais, des rames et des escaliers du métro. Il faisait partie désormais du chic parisien en général, celui de la mode, de l’architecture, de l’art même. Et de l’univers des shadoks parisiens.
Que de nostalgie et de dépit quand on se souvient de ces époques passées et que l’on regarde le ticket actuel, insipide et mutique.
Christine L.