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Il est là. Il le sait. Il en est sûr. Il voit clairement ses mains posées sur ses cuisses. Il peut commander à ses doigts de bouger. Il croise ses mains comme un homme qui réfléchit. Mais sa pensée est dissoute. Ses yeux examinent avec attention, avec lenteur les murs blancs de la pièce. Rien ne les habille. Seuls deux interrupteurs, blancs eux aussi, brisent l’uniformité. Une porte à côté d’eux. La salle de bains probablement. Sûrement. Seule la porte de la chambre défonce l’éblouissement brutal de son vert « anis » défraîchi. Deux lézardes fêlent le plafond de leurs zigzags. Le fauteuil d’un faux cuir bleu sombre expose à travers ses blessures une mousse jaunie. Une grande fenêtre, à peine entrebâillée, encadre les nuages qui défilent. Que poursuivent-ils dans ce ciel limité ?
Il sait pourquoi il est là. Mais il ne peut y penser. Il entend, il voit, il comprend ce que les bouches des autres lui disent mais sa pensée demeure impotente. Estropiée. Il est son corps, c’est tout. Il pressent l’étrange de ce moment sans pouvoir cependant y participer. Son absence est sa présence. Témoin inerte de sa dislocation.
Il voudrait savoir s’évoquer. Se convoquer. Il se souvient de lui avant. Comme d’une ombre qui flotte au bord du gouffre des mots. Deux mots gravitent en lui comme deux ogres impitoyables.
« Mort subite ».
En un douloureux éclair, ces deux mots ont guillotiné son esprit. Injurié d’une terreur soudaine, le sens lui échappe. De qui, de quoi lui parle-t-on ? Est-ce une menace ? Quand ? Pourquoi ? Est-ce déjà là ?
Piégé dans ce labyrinthe infernal, il attend. Immobile. Figé dans cet au-delà de lui-même irréel et invraisemblable. Prisonnier.
Par la fenêtre entrouverte, une mélodie lui parvient soudain. Des voix chaudes. Il les a déjà écoutées. Avant. Par à-coups, son esprit tente de reconnaître, de relier un passé à ce présent chaotique. Il ferme les yeux pour mieux entendre. Il sent son sang battre ses tempes. Des picotements parsèment sa peau. Un courant électrique le parcourt lorsqu’il distingue les paroles… « Va pensiero, sull’ali dorate… » !
Oui. La sève. La vie.
La porte s’ouvre. Une blouse blanche s’approche.
-      « On dirait que ça va mieux !
-      Chut ! Ecoutez… » Il tourne vers elle un regard humide et radieux.
« Je viens d’être frappé par la vie subite. »   
 
Dominique Olsenn
Tag(s) : #Dominique Olsenn, #Textes de participants, #Le bonheur
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