Cet homme au front haut et à l’œil cerclé de bleu et caressant dont la voix chuchote les mots et les titres des livres comme l’on suce les bonbons lorsque l’on est enfant ; j’ai toutes les raisons de vouloir le tuer : depuis quelques mois, patiemment et je dirais presque quotidiennement, il a su instiller dans le cœur de ma douce -par des choix de lectures, des conseils, des petits rires contenus et complices dans la grande salle hexagonale- et sans que je le perçoive vraiment avant qu’il ne soit trop tard ; cet envie d’un autre que moi.
En est-il conscient ? Peu importe. Le fait en lui-seul suffit.
Pour mieux dire, il a ôté à ma femme chérie, l’envie qu’elle avait jusqu’alors viscéralement accrochée au cœur de m’aimer. Je le sais, je l’ai vu. Par leur long cheminement le long des étagères remplies de livres au cœur de l’hexagone, -des livres que jamais je ne lirai-, j’imagine qu’ils ont creusé à petits pas et tous les deux -et cela presque sans le savoir eux-mêmes-, entre moi et elle un faille qui s’ouvre chaque jour davantage.
Mon enfant tout juste grandie.
Comment ? Par le truchement des livres, bien sûr ! Ces fichus livres ! Je n’ai pas vu le coup venir ni n’ai été capable de détecter dans ce regard un peu voilé qu’elle levait vers moi qui ne lis pas, l’éloignement obligatoire.
Mon aimée est partie un matin, un livre sous le bras ; m’exhortant de ne pas la suivre… Que ce n’était pas moi, que c’était elle…bien sûr. Qui d’autre…elle a même susurré en partant qu’il me faudrait un jour écrire notre histoire. Moi je sais que c’est lui… Le bibliothécaire de la bibliothèque de Babel…
J’ai franchis en courant la porte de verre, me suis approché par derrière sur la pointe des pieds pour l’assommer, lui, l’infâme ; avec le premier livre que j’avais trouvé ; une encyclopédie Universalis de l’année 2000 complètement obsolète… Et juste avant de frapper, -résolu comme je l’étais à en finir avec sa vie puisqu’il avait précipité la fin de la mienne- ; je me suis penché sur son épaule pour voir ce qu’il lisait, absorbé par sa lecture au point de ne pas me sentir approcher…et j’ai lu :
« Cet homme au front haut et à l’œil cerclé de bleu et caressant dont la voix chuchote les mots et les titres des livres comme l’on suce les bonbons lorsque l’on est enfant… »
Françoise C.