Lorsqu’elle entra dans la salle de l’hôpital, elle fut saisie à la gorge par un flottement d’odeurs qui la révulsèrent. Une quarantaine de blessés transpiraient sous leurs pansements souillés. Les malheureux n’avaient pas été lavés depuis plusieurs jours, ils ne pouvaient empêcher leurs puanteurs infectes de se répandre, mêlées les unes aux autres. Les infirmières, des religieuses pourtant fraîchement débarbouillées du matin, retenaient bien involontairement dans les plis de leurs amples robes blanches les pestilences du dernier patient examiné, brassant par leurs va et vient l’atmosphère putride du sinistre dortoir, encore alourdie par les haleines fétides laissant échapper des gémissements de douleur.
Elle avait fermé les yeux pour ne rien ajouter à cette épreuve. Des effluves doucereuses parvinrent jusqu’à elle. Elle reconnut l’odeur du sang. Celui jaillissant hors des plaies, rouge vif et brillant, dont il fallait impérativement stopper la course fatale, écœurant à force d’être suave. Et celui, séché, aux exhalaisons plus discrètes, mais pesantes comme la carapace craquelante qu’il formait peu à peu sur les pansements. Les émanations amères de la teinture d’iode s’échappaient des bandages. Ces lourdes vapeurs tapissaient ses poumons à en avoir la nausée, malgré les senteurs aigües, présumées purifiantes, de l’alcool qui tentait de les escamoter.
Bientôt son cerveau lui sembla paresseux. Lassitude de déchiffrer toutes ces odeurs maléfiques ? Non pas ! Elle retrouvait un souvenir d’enfance provoqué par une grande bouffée d’éther, celui-là même qui l’avait endormie autrefois pour une opération de l’appendicite. Une présumée « désagréable odeur » qu’elle aima particulièrement dans cette malodorante salle d’hôpital ; pourtant songea-t-elle, cette salvatrice senteur triompherait-t-elle de toutes les autres ici comme autrefois, les emmenant sur les rives de l’oubli et du sommeil ?
Son regard devint imprécis, il flotta, les blessés s’estompèrent, elle s’évanouit.
Fredaine