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  Puisque les mots, chez moi, ne sortent pas pour raconter l'intime, puisque que je n'arrive pas à entrer dans « l'écriture de soi », à être par le verbe, dans la description de mon paysage ; je vais essayer de te dessiner ce que j'ai été. Depuis le bas de la feuille de Canson jusqu'en haut. Advienne que pourra. Tu veux bien ?

   Prends ta chaise et viens t'asseoir là, à côté de moi. Tu y es ?

   Bon, je me lance ; je prends la feuille dans sa hauteur et à l'aide d'un crayon gras, je vais tracer le début de mon chemin. C'est mon enfance, sais-tu.

...

   Pardon si tu t'impatientes. J'ai besoin de temps.

   Je me questionne. Ce chemin sous mes pieds nus qui commence ma vie au sortir du ventre primordial, -celui de Mère-, a-t-il été droit et étroit, sinueux et étroit, large et sinueux ? Ou enfin, large et droit ? De chaque côté de ce chemin, qu'y avait-il ? Des précipices sans fond, des montagnes dressées? Un paysage vallonné de campagne avec son puits profond et sa rivière sinueuse ? Ou encore une plaine brûlée par le soleil d'été? Y avait-il des trous à se tordre les chevilles dans le chemin, des obstacles? Chemin de bitume, de boue, de cailloux, de sable doux mais aussi brûlant à mes pieds nus ? Et quelle végétation y avait-il ?

   Il me revient qu'il courait, ce chemin, le long d'une plage de sable blanc avec ses cocotiers occupés à courtiser la mer et qui se balançaient mollement au gré de la marée.

   Qu'est-ce qui m'a correspondu le plus ? J'hésite, je tergiverse, le crayon suspendu, confrontée pour la première fois à l'épreuve pour moi ardue de représenter mon propre paysage.

   Allons, puisqu'il le faut !

   Mon crayon se pose enfin et commence son tracé. Il choisit d'esquisser un chemin passé droit et large, fait de sable et de chaleur. Cela me plaît. C'est ça ! Voilà, je suis partie, je gambade. Et mon crayon, bon garçon, te montre mon passé.

   Mon enfance a été heureuse et lumineuse sous les vents salés. c'est difficile de dessiner le vent. On ne peux montrer sa présence qu'en agitant les êtres et les végétaux qu'il traverse...  Ça, vois-tu, c'est le bougainvilliers avec ses grappes de fleurs colorées qui ressemblent quand on les touche à de la soie qu'on aurait froissée. Il n'y a pas la couleur, bien sûr, mais le trait y est. Et ici, le tronc pelé du niaoulis. L'écorce s'en va en pelades blanches et épaisses...on l'appelle "l'arbre à peau".  La fleur de Tiaré, je ne sais plus la dessiner, mais j'ai encore le ténu de son parfum sucré dans le nez. Comment dessine-t-on une odeur?

   Une enfance sans catastrophe, sans obstacle ni complication qui l'aurait rendue tourmentée et sinueuse dans la beauté éblouissante d'un monde que j'associe à présent au paradis perdu des premiers hommes...

   Mais, que fait cette falaise froide et imposante dressée tout à coup à ma gauche en quelques hachures grasses et larges et qui longe le chemin de la côte sablonneuse et nonchalante de mon Pacifique?

   Déjà et sans y penser, nous arrivons, - mon crayon du bout de sa mine et moi en dansant et la jupe légère-, à une clairière : c'est mon adolescence. Je la voudrais claire et spacieuse avec pour la délimiter entre les arbres métropolitains et le ruisseau  chuchotant qui la bordent, une petite barrière de bois plein plantée de ci-de-là... du chêne ou du frêne amoureux par exemple, car je suis en France à présent. Une clairière avec des brèches esquissées ici et là aussi, juste pour... pour juste, en fait, empêcher que ne soit acculée à la mort, la biche aux abois qui entendrait arriver le chasseur et ne pourrait que s'étendre, là. Sur l'herbe tendre.

La biche aux abois, c'est moi, tu crois ?

Et le chasseur ? Il est là, dressé au dessus de moi tout à coup et terrible. Reconnaissable entre tous parce que connu, et flou à la fois. Crayonné par mon inconscient qui s'agite au fond de moi. Mon cœur cogne soudain contre la cage fermée de mes côtes oppressées sans que je sache pourquoi et le cri qui s'échappe enfin de ma poitrine est étouffé par une main qui veut aussi froisser le papier crayonné mais n'y arrive pas.

Je ne peux que m'engouffrer, plus morte que vivante dans une des brèches qui enfin s'ouvrent.

Ai-je subi l'irréparable pour fuir ainsi ? Seul mon crayon sait et lui aussi se tait.

   Je débouche, -avec le sang qui tape à mes tempes et qui trempe aussi périodiquement ma culotte de jeune fille-, sur une croisée de deux chemins. Regarde : d'un côté, une route large et toute ensoleillée, balisée et couverte d'un granulé blanc qui miroite au soleil avec son caniveau obligatoire pour bien drainer les pluies d'été et de l'autre une mauvaise sente en terre battue qui m'enfoncerait de nouveau irrémédiablement dans cette forêt aux arbres si serrés les uns contre les autres que le soleil, jamais, n'y peut glisser un rayon. Le crayon sous mes doigts, longuement, s'applique à griffonner les ombres en un lacis de traits sombres.

   Pardon si je baguenaude à présent, si je flâne, si je musarde ! ( pardon mais j'aime ces vieux mots surannés d'un amour attendri de collectionneuse) Il y a à ta gauche des sachets de thé, une bouilloire pleine et des petits gâteaux secs près de nos deux tasses. Sers-toi. Le crayon et moi avons besoin de temps.

   Cette croisée des chemins, vois-tu, c'est le premier amour.

   Il faut ce qu'il faut. Mon crayon le sait et sait aussi quel a été mon choix. Mais il peaufine son trait avant d'aller plus avant : du temps pour comprendre, du temps aussi pour expliquer. Tergiversations, hésitations et tutti quanti... mon pied chaussé pourtant de mes sandales préférées a eu du mal à prendre parti.

   D'un côté, on distingue à présent la sente du garçon aux mauvaises manières, le loubard. "La petite frappe des banlieues", comme disait Mère avec mépris. Mais  pour moi si séduisant avec son regard lourd qui traîne et son blouson de cuir qui sent la vie, le musc animal et l'âcre de l'huile de moteur. J'aime tout de suite ses hanches étroites aussi, ses mains chaudes et larges qui se posent en maître sur mes hanches à moi, déjà toutes rondes. Une terre battue et rugueuse qui ne peut pas plaire à Mère, c'est certain...

Oui, mon crayon passe et repasse sur le tracé et creuse le sillon jusqu'à presque percer le papier. C'est le chemin de traverse.

   De l'autre, le boulevard éclaboussé d'un soleil placide du petit garçon sage -avec ses longs doigts de pianiste et la raie tracée sur le côté- qui a fait maths sup pour plaire à Papa et roule dans Paris à vélo parce que c'est plus écolo mais prend l'avion dès qu'il peut pour aller chez Granny en Angleterre...

   Il faut choisir, dans la vie ! Vais-je laisser parler mon esprit frondeur, mon corps émoustillé, et me précipiter vers le sombre, l'obscur ; ou bien alors préférer la raie sur le côté, la sécurité et la lumière... Le bien propre-sur-soi et le bon côté du cap Ferret ?

Qu'aurais-tu fait, toi, à ma place ?

   Les longs doigts fin de ce côté-là, -à en croire mon jeune corps- se poseront plus souvent sur les touches d 'un piano que sur ma peau qui du coup ne frissonnera pas.

   Le souvenir de la biche acculée a été enfoui très profond, tu vois. On n'en parle plus. Cela n'a pas lieu, ces histoires, dans les bonnes familles ! On n'y pense même pas.

   Le crayon a du temps à perdre et sait que dans les tergiversations du cœur et du corps, les souvenirs se dorent la nostalgie et la raison ne la ramène pas.

    Merci pour la tasse de thé que tu m'as préparée. Pose-la là, à côté.

   J'ai dix-sept ans, maintenant. Le crayon sait déjà, -bien sûr-, que j'ai choisi l'obscur et va son chemin à présent. Regarde comme il avance ! Je le suis d'une sandale légère en minaudant. En ondulant de la croupe et du sein à défaut d'avoir des talons. Le sourire aguicheur brandi comme une insulte. Une insulte à qui ?

   Mais à Mère, bien sur!

   Après quelques vicissitudes et aléas inhérents à la nature même de l'homme choisi et alors que je chemine allégrement et si libre, je débouche, -presque déçue et un peu ralentie dans ma course folle-, sur l'autre chemin : la raie sur le côté. Après donc avoir erré un peu de tronc en tronc -et de bras en bras-, après avoir pris même d'autres chemins de traverse -tous plus décevants les uns que les autres dans cette forêt pourtant touffue-, j'épouse enfin le cap Ferret et ses étés sans nuage.

Je choisis presque par défaut, vois-tu, les doigts du pianiste.

   Si même maintenant l'obscur ne tient plus ses promesses !

   Mais continuons.

   Le long du chemin ensoleillé à présent que je suis d'un pas rétréci -et comme anesthésiée-, se dresse un mur haut et imposant qui me cache ce qu'il y a derrière. Regarde-moi : je tangue sur mes talons hauts de chez Bottega Veneta et chemine, pauvre petite, droite et concentrée sur ma destinée. C'est mon état de femme mariée, « Et bien mariée !», a dit Mère, satisfaite pour une fois.

Je marche enfin droit sous la mine de mon crayon.

   C'est long et c'est d'un plat ! Il y a juste mes ampoules aux pieds qui me tracassent, en fait et m'empêchent de penser, à ce moment-là de ma vie. C'est dire ! J'ai comme un gros cal dur et douloureux derrière les talons -à force- où le crayon, en traits rageurs et répétés, accumule toutes mes frustrations, tous mes renoncements, toutes mes questions restées sans réponse et que je ne pose plus, -à force-... à voir mon crayon s'échiner, il  a de la rancœur, ne crois-tu pas ?

   Je me perds dans la géographie de ce paysage désolé qui n'est pas le mien. Comme égarée. Je longe, je longe ce mur, muette et résignée, sans vouloir même savoir ce qu'il y a derrière...

   Mais juste au moment où je me désespère ; là, au dessus du mur et en majuscule, le crayon écrit très vite: « au secours », - c'est comme un cri venant de derrière le mur. Cette voix est déchirante à force d'être terrorisée. Une échelle posée sur le mur se matérialise  aussitôt à ma grande surprise... Mon crayon, bon prince, a paré à toute éventualité, assuré comme il l'est déjà de la direction que je prendrai. Regarde !

   A moi pourtant s'offrent trois choix, sais-tu : tout d'abord, courir, -autant que faire se peut-, avertir la police, mais je sais déjà pertinemment qu'elle arriverait trop tard : le village que je griffonne est au loin, comme il se doit. Entends-tu, comme dans un brouillard, le battant taper gravement contre le bronze ébréché de la cloche de son église tout contre le bord de la feuille ? écoute !  À vue d'oreille, plusieurs kilomètres... Le coq du haut du clocher que j'esquisse en crayonnés légers n'est même pas bien fait. Je gomme !

   Passer mon chemin dignement sur mes talons de bonne femme comme si de rien n'était en espérant, -hétéroclite-, que personne ne m'a vue est la deuxième possibilité ; ou enfin, escalader le mur « ventre à terre » en utilisant l'échelle de mon crayon. Pour aller voir si je peux interférer dans la destinée d'une de mes prochaines... Ne rien faire ou agir.

   Tu en penses quoi, toi ?

   Mais j'ai dans un coin de la mémoire tout à coup, le cri de la biche dans la clairière qui ressurgit et mon regard affolé de bête prise au piège griffonné dans un coin de feuille. Plus jamais ça ! On est femme ou on ne l'est pas !

   Je décide de grimper à l'échelle, déjà, pour voir... pour me rendre compte. Le crayon a été plus que vigilant : il ne manque aucun barreau à son échelle. Et c'est tant mieux parce qu'avec mes fichus talons hauts, ce n'est pas tâche facile de prendre de la hauteur autrement qu'en ondulant des fesses et à ras le sol. Et après avoir tant bien que mal enjambé le mur et ses tessons de bouteilles sur lesquels j'ai précautionneusement jeté mon gilet (qu'il te faut imaginer rose) ; après avoir enfin jeté par dessus les moulins mes chaussures aux bouts pointus et la jupe de mon tailleur Nina Ricci, -rose aussi-, qui dans l'aventure s'est déchiré ; j'atterris en plein milieu du tournage d'un thriller où une femme nue et aussi potelée que je le suis devenue, - et qui me ressemble trait pour trait, en fait-, se fait dévorer par une bande de loups au ventre creux et aux dents sortis. Des loups aux petits yeux vairons qui déjà me mangent du regard.

   Cette femme, c'est à la fois moi et pas moi, tu vois. Je ne sais pas trop comment expliquer, en fait.

   A ma grande honte, eux, ils arrêtent alors le tournage et me considèrent de façon d'abord méprisante.  Tous. Les cameramen, le metteur en scène, les dresseurs... Tous. Campés sur leurs pieds de puissants ; les regards et l'objectif noirs et la mine menaçante. Me serais-je fourvoyée ? On doute toujours de ce que la vie nous présente. On ne veut pas croire ! On fait de petits arrangement avec elle. Et si en plus c'était que pour de vrai ?

Tous ces hommes sont dressés comme à la curée autour de cette femme -qui est moi, aussi- et me regarde avec un air si désespéré que je comprends qu'il n'y a rien à faire. Rien.

   Ils se sont un peu approchés de moi à présent et essaient de refermer le cercle, les dents sorties dans le sourire... Pour un peu, on me lâcherait les loups aux trousses... pour avoir gâché un plan de tournage, de la pellicule ? Vraiment ? Comme en être sûre ?

Je recule. Je m'excuse. Je suis terrorisée moi-aussi et vite acculée au mur. Le crayon cette-fois-ci a vivement ouvert une brèche et je réintègre le chemin contrite et confuse. Je continue en me disant que la prochaine fois...

Femme, oui, mais à ce point-là !

Et il semble même, à m'en croire, que je ne sois jamais allée en fait, de l'autre côté. Quand le cri retentit encore, et encore plus fort et encore cent fois plus déchirant, je me bouche bien sûr les oreilles, récupère ma jupe jetée aux orties mais laisse là mes talons hauts et passe mon chemin. Je peux très bien marcher pieds nus.

Le crayon dessine  minutieusement sur le chemin derrière moi  et en tout petit, les chaussures de  ma vie de dame qui me faisaient la jambe si galbée et les orteils si martyrisés.

   Moi, j'avance toujours. Mais pourquoi ai-je gardé de ce moment -en persistance lumineuse mais fugace- la vision d'une raie sur le côté et de longs doigts de pianiste qui voulaient s'accrocher à ma chair comme les griffes acérée d'un loup ?

Puis plus rien.

    J'avance encore. le crayon crayonne sec; le bougre !

   Là, juste là, je viens de divorcer, vois-tu, avec perte et longs fracas et Mère ne me parle plus.

   Sous la mine têtue de mon crayon à présent et sur le bord du chemin qui s'est étréci au fur et à mesure, une cruche ébréchée s'esquisse entre deux pierres sèches. Elle est comme je viens de le dire ébréchée mais peut encore servir à contenir de l'eau et comme j'ai bien soif, je la prends.

   J'ai de plus en plus soif, à vrai dire et les rivières et sources qui ponctuaient mon chemin ont peu à peu disparu, même dans le récit enjolivé et mensonger que j'en peux faire.

   Une cruche, ça peut toujours servir... Je regarde à l'intérieur, rien. Pas d'eau. Elle peut contenir, mais elle ne contient pas... J'y mets ma soif à défaut d'autre chose et continue à marcher vaille que vaille, la cruche au bout du bras. Il fait si chaud !

   Je continue au gré de mon crayon à avancer en traînant du pied à présent. Assoiffée et en sueur, pestant contre ce climat qui va dans le mur... et me voici arrivée à une petite table en bois sombre en travers du chemin sec et désolé que le crayon a dressé devant moi et qui disparaît derrière l'horizon. Trois clefs y sont posées... Une en or, très ouvragée, une en bronze vieilli et énorme, enrubannée de liseron et souillée de terre et une petite en fer toute simple....une clé, quoi...

Il faut choisir, dans la vie. Chaque choix fait bifurquer le chemin, moi je dis. Dans un sens ou dans un autre, bien sûr. Et pas toujours dans le sens qu'on veut. Mon crayon est d'accord avec ça. Et toi ?

   J'aime bien la clé en or... C'est une clé pour la nostalgie, une clé pour ouvrir la porte de mon passé qu'en marchant à petits pas depuis quelques temps, je suçote maintenant comme un friandise en recrachant tout ce qui n'aurait pas le goût sucré et doucereux que je veux lui trouver... C'est une clé pour moi, oui, car déjà des rides se sont creusées sur mon visage las et je boîte un peu bas. Juste une compensation, parce que je le vaux bien. Quand j'ai croisé ma silhouette tout à l'heure, -dans ce miroir baroque posé de guingois sur le chemin par le crayon-, j'ai vu Mère en Nina Ricci rose dans mon reflet. Et je ne m'en remets pas.

Je contourne la table et riche de ma clef de riche, je veux continuer.

Au pire, je pourrais la revendre.

« Pas de retour en arrière possible », m'écrit, alors le crayon sur un côté de la table. En me retournant sur la feuille, je vois que la gomme au bout du crayon efface tout au fur et à mesure. Je serre ma clé que j'ai glissée dans mon soutien gorge et j'avance. Têtue.

   Le chemin n'a pas de fin, il me semble, et mes pieds nus me font mal, à force.

  Je me suis débarrassée de mon tailleur qui me boudinait trop à présent et progresse en culotte et soutien-gorge. C'est plus commode par cette chaleur et les plis adipeux de mon ventre, mes bras ridés et mes cuisses flageolantes de mauvaise cellulite, -s'ils brillent au soleil-, ne sont vus de personne car depuis que je suis vieille, vois-tu, plus personne à part mon crayon -qui s'acharne à me croquer vieilli et laide à présent- ne me regarde vraiment.

   J'avance comme je le peux sur le chemin et le nez penché vers le sol pour bien placer mes pas, ne pas tomber. Il fait encore plus chaud.

   Oui, mon thé va être froid. Je le boirai froid, ce n'est pas grave, tu sais avec la chaleur qu'il fait. J'aurais dû te proposer plutôt de  la limonade, quelque chose de frais.

   De toutes les façons, quoi, le chemin toujours se dresse devant moi. Droit et étroit à présent comme un jour sans pain. Sans ombre, sans abri et le soleil s'est fait brûlant. Moi, j'ai soif et je n'arrive pas à dessiner de source qui laisserait sourdre de l'eau ou un puits percé au dessus d'une nappe phréatique... Le crayon dans ma main grippée par l'arthrose s'y refuse … C'est un crayon qui n'en fait qu'à sa tête, tu sais. Ce n'est pas lui qui a soif !

   Je continue, assoiffée et exténuée. Un pas derrière l'autre. Lentement. Tout en haut de la feuille, il reste de la place mais je me heurte à un mur que mon crayon menaçant a profilé soudain sur toute la largeur et qui me barre la route.

   Je lève le nez, arrêtée dans ma marche aussi hésitante que penchée. Regarde-moi cette petite vieille grotesque et voûtée arrêtée sur la route. C'est moi à présent ! Je suis toute petite face à la haute muraille grise faite dans un béton échauffé par l'air qui fait tourbillonner la poussière. Même la maigre végétation que le crayon griffonnait encore sur les côtés a disparu. Une porte fermée perce la muraille, là, juste en face de moi. Il doit bien y avoir une façon d'entrer, puisqu'il y a une porte... De mes doigts maladroits je sors cérémonieusement la clef de sa cachette et ayant chaussé mes lunettes sur le bout de mon nez pour ne pas manquer la serrure, je découvre -ce faisant- un tout petit panneau flanqué contre la porte sur lequel le crayon a écrit en tout petit, le félon :

« Seule la clef en fer ouvrirait la porte de ton futur... »

Mais tu pleures ! Pardon ! Je ne pensais pas que te crayonner une histoire sur un coin de table te mettrait dans cet état-là !

… C'est l'histoire de toutes les femmes, tu dis...

Je ne crois pas... Mets-toi à ma place et crayonne à présent comme je l'ai fait. Voilà : un crayon rien que pour toi, fait à ta main et sa feuille de Canson. Là ! Tu peux commencer... Tout en bas."

Tag(s) : #Françoise C., #Marie Alexandrine, #Textes des participants
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